A Sciences Po Lyon, la junior entreprise veut « casser son image capitaliste »
A Sciences Po Lyon, la junior entreprise veut « casser son image capitaliste »
Comme dans de nombreuses grandes écoles, cette association offre la possibilité aux étudiants de réaliser des missions de conseil. Avec pour enjeu de changer les mentalités autour de l’entreprenariat.
L’équipe de la Junior entreprise de Sciences Po Lyon. De gauche à droite : Kelly, responsable relations publiques; Alizée, trésorière ; Eva, responsable qualité ; Inès, chargée d’affaires ; Rebecca, secrétaire générale ; Audrey, présidente ; Simon, responsable communication ; Julie, vice-trésorière ; Léa, responsable développement commercial ; Alexandra et Titouan, chargés d’affaires.
« Entreprise », « client », « mission », « argent », « patronat » : quand on interroge les étudiants de Sciences Po Lyon sur la junior entreprise de l’école, ce sont les mots qui reviennent le plus souvent. « Je dirais entreprenariat… Mais c’est le mot capitaliste qui m’est d’abord venu à l’esprit », reconnaît un autre. La réputation « pro-business » colle à la peau de cette « association à but non lucratif, à vocation économique et pédagogique » qui, comme les quelque 170 autres junior entreprises françaises, permet à des étudiants de réaliser des missions professionnelles, pourvu qu’elles aient un lien direct avec le contenu des enseignements et un intérêt pédagogique.
Audrey, 21 ans, étudiant en quatrième année et président de la Junior Conseil & Stratégie (JCS), déplore ces clichés : « On ne fait pas de la politique. » Lui considère que « la JCS est une association atypique, dont les gens pensent à tort qu’elle est inaccessible ». Créée en 2009 à Sciences Po Lyon sur le modèle d’un cabinet de conseil, la junior entreprise confie à des élèves des missions pour des entreprises, des collectivités territoriales et des organismes publics. En promettant à ces clients « flexibilité », « dynamisme », et en faisant valoir que contribuer à la professionnalisation des étudiants favorise leur image.
Si la stucture est associative, et pilotée par une quinzaine d’administrateurs bénévoles, elle n’est pas pour autant ouverte à tous. Etre volontaire ne suffit pas, il faut montrer qu’on a le profil adéquat pour devenir « junior consultant » : « J’ai dû passer un entretien avec deux membres du bureau pour une mission. Ils ont même commencé à me parler en anglais pour me tester ! », s’étonne un étudiant.
« J’ai beaucoup hésité, raconte Arnaud. Mais j’en avais marre du cursus trop académique de Sciences Po Lyon, et puis il y avait l’aspect professionnel ». Cet étudiant de quatrième année en affaires asiatiques a d’abord mené une enquête à la sortie d’un salon sur l’habitat, sur « ce qui avait plu [aux visiteurs] ». Il réalise actuellement une enquête par téléphone pour un client dans la région de Perpignan, sur les habitudes de consommation. « Il ne faut pas se mentir, ce n’est pas la mission la plus palpitante, mais je gagne de l’argent et j’acquiers de l’expérience », explique-t-il : il touche, pour chaque journée d’études, environ la moitié des 265 euros facturés au client. « Certaines missions ont l’air plus intéressantes, mais elles durent plusieurs mois », reconnaît-il.
« Rush » et prospection
Titouan est l’un des chargés d’affaires de la junior entreprise. A lui de participer au recrutement du junior consultant et de faire le lien entre lui et le client. C’est aussi lui qui, en amont, réfléchit à l’avant-projet avec le vice-président de l’association et négocie le contrat de mission. Sans oublier de prendre part à la prospection, en lien avec le pôle de développement commercial. Lui qui s’est impliqué dans la structure « surtout pour l’expérience associative » et « le plus sur le CV », concède « de gros moments de rush ».
D’autant que l’équipe élue à la rentrée 2015 entend « faire progresser » la junior entreprise. Notamment en portant le chiffre d’affaires, des 20 000 euros escomptés cette année, à 40 000 d’ici cinq ans. « Cet argent nous permet de financer nos frais de fonctionnement et nos événements, ainsi que de consolider nos fonds propres pour assurer la pérennité de la structure », justifie Audrey, sa présidente. L’objectif est aussi de davantage développer « les missions d’expertise publique », plus proches du cursus étudiants de Sciences Po Lyon. Et enfin, de se hisser au niveau des grandes junior entreprises lyonnaises comme celles de l’Institut national des sciences appliquées ou de l’EM Lyon. Un cap a été franchi, en avril, en obtenant le label de la Confédération nationale des junior-entreprises (CNJE), après deux étapes intermédiaires. Outre des « visites de contrôle qualité », la CNJE « nous accompagne dans le développement », explique Audrey, qui apprécie aussi les contacts noués avec d’autres Junior entreprises.
« La JCS, c’est comme une entreprise »
Pour mener à bien ces projets, le président dédie « au minimum 10 heures par semaine » à la gestion de la JCS. Après avoir assuré le développement commercial de la Junior entreprise, il s’est présenté à sa présidence au retour de sa troisième année, passée aux Etats-Unis. « C’est ma plus belle expérience associative, explique cet ancien président du bureau des élèves. Avoir des objectifs, une équipe, établir un pont entre ce qu’on nous apprend aujourd’hui à Sciences Po et ce qu’on fera demain : ça nous permet de nous projeter. »
« On réalise pourquoi on étudie », renchérit Laureline, qui se destine à travailler dans les organisations internationales. Cette jeune québécoise est devenue chargée d’affaires de la junior entreprise « pour les qualités d’organisation, de management et de leadership » et ne regrette pas le temps qu’il lui a fallu pour s’adapter aux différentes normes françaises et au système européen : « Cela donne une confiance dingue quand tu as l’habitude d’appeler des chefs d’entreprise », salue-t-elle. Elle apprécie aussi que son engagement à la JCS lui a permis de se rapprocher des étudiants français.
Si la junior entreprise semble satisfaire ses membres, reste à relever le défi de sa notoriété auprès des autres étudiants de Sciences Po Lyon. « On avait une image assez ridicule, celle d’une association capitaliste » résume sa présidente, Audrey, qui tâche de faire bouger les lignes en organisant des événements ouverts à tous les étudiants de l’Institut d’études politiques : des after work sur la professionnalisation, le forum des métiers et des parrainages entre étudiants et diplômés de l’école.
Titouan a ainsi découvert l’association l’année dernière, lors d’une table ronde sur l’entreprenariat social, auquel il se destine. « Je connaissais assez peu [la JCS], je n’ai pas beaucoup réfléchi avant [d’y] entrer », explique-t-il, satisfait d’y apprendre « la rigueur et l’organisation dans le travail ». Quand on le questionne sur l’image de la junior entreprise, il sourit : « Avec mes sarouels, je suis la caution de gauche de la JCS. »
Cet article a été écrit par Louis Germain, étudiant en master journalisme à Sciences Po Lyon. Nous avons été mis en contact par Audrey Sokolo, présidente de la junior entreprise de l’école, qui a tenu un blog pour LeMonde.fr Campus lors de son année d’études aux Etats-Unis, baptisé French fries.