Abdoulaye Bio Tchané : « Boni Yayi a laissé le Bénin dans un état catastrophique »
Abdoulaye Bio Tchané : « Boni Yayi a laissé le Bénin dans un état catastrophique »
Propos recueillis par Serge Michel (Cotonou, envoyé spécial)
Candidat malheureux à la présidentielle de février, l’ex-directeur Afrique du FMI est aujourd’hui ministre du plan et du développement du nouveau gouvernement Talon.
Abdoulaye Bio Tchané, ministre d’Etat chargé du plan et du développement, est un pilier du gouvernement de Patrice Talon, le nouveau président béninois. Un ralliement pragmatique alors que les deux hommes étaient en concurrence au premier tour de la présidentielle béninoise, le 28 février. Economiste, ancien directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI), ex-patron de la Banque ouest-africaine de développement, Abdoulaye Bio Tchané a l’habitude des situations compliquées, et cela lui sera utile. Il a reçu Le Monde Afrique dans son bureau de Cotonou en mai.
Dans quel état avez-vous trouvé les finances du pays ?
Abdoulaye Bio Tchané Dans un état catastrophique. Pour 2015, le déficit est de l’ordre de 7 % du PIB, sans compter un certain nombre d’écritures qui ne sont pas dans les comptes, des arriérés. Il est plus réaliste de parler de 10 % du PIB. En chiffres absolus, il manque entre 360 et 450 milliards de francs CFA (entre 549 et 686 millions d’euros).
Comment expliquez-vous ce trou ?
Ces dernières années, il n’y a eu aucune orthodoxie budgétaire. En 2015, d’après les agents du ministère des finances, plus de la moitié des dépenses étaient hors budget. En 2014, il y avait déjà plus de 50 milliards d’arriérés (76,2 millions d’euros). En 2015, cela a empiré.
Thomas Boni Yayi a donc vidé les caisses ?
Absolument. Entre 2013 et 2015, la dette intérieure s’est accrue de plus de 10 % du PIB. La conséquence, c’est qu’au moment où nous prenons nos fonctions, début avril, le service de la dette représente 41 % des recettes de l’Etat. Les salaires des fonctionnaires pèsent à hauteur de 50 %, si bien qu’il ne reste que 9 % pour les autres charges et pour investir dans l’avenir. Voilà l’héritage du régime de Boni Yayi.
A quoi cet argent a-t-il servi ?
Des audits sont en cours pour savoir où est passé l’argent. Il y a quelques infrastructures. Mais aussi des situations incroyables pour lesquelles je n’ai pas encore tous les éléments. Boni Yayi a acheté un Boeing 727 juste avant la fin de son mandat. Et pourquoi a-t-il acheté ces derniers mois des véhicules neufs pour des milliards de francs alors que la trésorerie de l’Etat était exsangue ?
Comment remédier à ce trou pour les dépenses urgentes ?
D’abord, on a réduit la voilure, c’est un signal important à donner. Moins de ministres et moins de collaborateurs pour chaque ministre. Puis on supprime un certain nombre d’institutions, comme les hauts commissariats qui dépendaient directement de la présidence et doublonnaient avec des ministères. Tout cela économise entre 150 et 200 postes sur les 21 ministères.
Dans le même temps, nous sommes dans une conjoncture difficile. Notre voisin, le Nigeria, qui est aussi un client important, fait face à l’une de ses plus grandes crises. Nous allons prendre des mesures fiscales pour dépendre moins des recettes douanières. Il faut passer le cap difficile des prochaines semaines.
Le Bénin a l’un des ratios les plus élevés d’Afrique entre le salaire des fonctionnaires et les recettes de l’Etat. Comment allez-vous diminuer ces charges ? Que proposez-vous à ceux qui vont perdre leur emploi ?
Pour l’instant, nous n’allons renvoyer personne. Ce que nous sommes en train de faire, c’est augmenter les recettes. Par exemple, en croisant les données douanières et fiscales. Notre voisin le Togo a créé une agence qui réunit douanes et impôts. L’impact, c’est une augmentation dans les caisses de l’Etat de 2,2 % du PIB. Il nous faut ramener de façon intelligente et souple le secteur informel dans l’assiette fiscale.
Vous enchaînez les réunions avec la Banque mondiale. Quels sont vos projets ?
J’ai vu la Banque mondiale et le FMI au plus haut niveau il y a quelques semaines à Washington. Avec la banque, qui est ensuite venue à Cotonou, nous travaillons sur des projets qui vont renforcer notre base économique, dégager des ressources additionnelles pour le secteur privé et, surtout, créer des emplois. Les projets phares sont d’abord dans l’agriculture, qui occupe 70 % de la population. Nous devons structurer certaines filières comme l’anacarde [la noix de cajou], améliorer le taux de transformation au Bénin qui est aujourd’hui dérisoire, et nous positionner pour exporter massivement nos produits agricoles au Nigeria.
Mais nous voulons aussi mettre le Bénin sur la carte touristique mondiale. Nous avons des richesses incroyables en termes d’Histoire et de biodiversité. Nous avons proposé à la banque de nous aider à construire des services et des infrastructures autour de ce patrimoine et de le promouvoir.
Le tourisme n’est-il pas un miroir aux alouettes ?
Non ! C’est le secteur le plus facile à réformer, autour de Ouidah, qui n’est qu’à une quarantaine de kilomètres de Cotonou, et de son rôle dans l’histoire de l’esclavage. Il y a déjà la Porte du non-retour, le Fort portugais, le Temple des pythons. Ces lieux ont besoin d’être reliés pour former un itinéraire historique, mais ils figurent déjà dans les récits de la traite atlantique des Noirs. Les Haïtiens, les Brésiliens, les Afro-Américains, tout le monde veut savoir ce qui s’est passé. Ce tourisme mémoriel a un potentiel immense. Aucun pays ne raconte mieux que le Bénin l’histoire de la résistance africaine au colonialisme et à l’impérialisme occidental avec le roi Béhanzin, et l’histoire de l’esclavage avec la ville de Ouidah.
Une fois que l’Etat aura retrouvé ses capacités d’investissement, quelles seront les priorités ?
Nous avons surtout besoin d’améliorer l’environnement pour les entreprises. Il faut des infrastructures, de l’énergie, des routes, de la fibre optique. Nous allons câbler le pays du sud au nord. Et construire une zone franche du savoir et de l’innovation, qui sera la base de notre économie numérique, avec les start-up, les écoles, les universités. Compte tenu du potentiel de nos jeunes, qui sont excellents en mathématiques et en informatique, nous pouvons faire émerger une économie numérique solide, à l’image du Kenya.
Le Nigeria se serre désormais la ceinture en raison de la chute des prix du pétrole. Cela a-t-il des conséquences directes pour le Bénin ?
Le Nigeria a connu une période de croissance remarquable, qui a abouti à son classement en 2014 comme première économie du continent. Il a profité de cette période pour se transformer, et les secteurs non pétroliers ont contribué à cette croissance. L’agriculture y a repris sa place, sous l’impulsion du ministre Akinwumi Adesina, aujourd’hui président de la Banque africaine de développement (BAD). Tout comme les services, les télécoms et la culture. Pensez au poids économique du cinéma de Nollywood ! Les Nigérians ont aussi transformé leurs réseaux de transport.
Mais, de toute cette période, le Bénin n’a rien retiré. L’écart de croissance entre les deux pays n’a jamais été aussi important. Il nous faut profiter du Nigeria, qu’il soit prospère ou en crise ! Ce pays représente l’essentiel de nos relations commerciales. Aujourd’hui, cela passe avant tout par le secteur informel. Il faut structurer davantage ces relations et rechercher de façon explicite, ouverte, les points de convergence. L’agriculture en est un, avec près de 200 millions de Nigérians à nourrir. Le port de Cotonou en est un autre. Il a vocation à servir une grande partie du Nigeria, s’il parvient à être davantage compétitif.