Affaire Benzema : équipe de France et obsession nationale
Affaire Benzema : équipe de France et obsession nationale
Editorial. La polémique née des déclarations de Karim Benzema dit aussi comment la France est aujourd’hui à la fois désunie et affaiblie dans ses valeurs.
Didier Deschamps et Karim Benzema en juin 2013 à Porto Alegre (Brésil). | FRANCK FIFE / AFP
Editorial du « Monde ». C’était au siècle dernier. En 1998. La France célébrait, à travers son équipe de foot championne du monde, l’esprit black-blanc-beur d’une nation telle qu’elle se rêvait. « Zidane président », était-il écrit au fronton de l’Arc de triomphe, tandis que défilait sur les Champs-Elysées, et dans toutes les rues de France, une foule métissée, associant, dans une commune liesse, les drapeaux français, marocain, tunisien et algérien.
Il n’était à l’époque que Jean-Marie Le Pen pour désapprouver cette équipe importée « de l’étranger » qui ne chantait même pas La Marseillaise. Quand Christian Karembeu, joueur kanak formé à Nantes, affirma « Je ne me suis jamais senti français », il y eut bien quelques grincements de dents, mais nul cri d’orfraie de la classe politique.
C’est avec en tête ces images, certes iréniques, certes balayées un 21 avril 2002, qu’il faut juger la polémique née des déclarations de Karim Benzema dans la presse espagnole. Le joueur du Real Madrid estime que Didier Deschamps, le sélectionneur, a « cédé à la pression d’une partie raciste de la France » en ne le retenant pas dans l’équipe pour l’Euro. Aussitôt, des personnalités de tous bords ont condamné ces propos, lesquels ont suscité un vaste tumulte médiatique. Nous voilà en pleine affaire d’Etat.
Cette agitation raconte la place déraisonnable qu’a prise le jeu de football dans notre société. Les Bleus sont devenus, plus que nos représentants, une forme de miroir où le pays s’observe. Puisque parabole il semble y avoir, la polémique Benzema dit comment la France est aujourd’hui malade socialement, à la fois désunie et affaiblie dans ses valeurs. Elle est obsédée par le débat sur le communautarisme. Elle ne voit plus une équipe nationale, une, indivisible, laïque, où les joueurs seraient uniquement jugés sur l’excellence sportive, mais l’agglomérat sous un même maillot d’origines qu’il faudrait peser au trébuchet pour que le pays s’estime incarné !
Un peu rapide ?
Ainsi le philosophe Alain Finkielkraut s’inquiétait en 2005, après les émeutes dans les banlieues, de « cette équipe black-black-black qui fait ricaner l’Europe ». En 2011, la Fédération française de football envisageait d’établir des quotas de couleurs. Le comédien Jamel Debbouze regrette aujourd’hui « n’avoir aucun de nos représentants en équipe de France » – lire dans ce « nous », les beurs. « Benzema paye la situation sociale de la France », estime Jamel Debbouze.
Benzema met sa non-sélection sur le compte du racisme. Un peu rapide ? Le joueur, mis en examen pour chantage, s’épargne la moindre autocritique. Pour autant, il exprime une perception très répandue chez ses supporteurs. Car force est de constater un surcroît d’animosité chaque fois qu’un joueur beur ou de couleur fait une incartade. Il lui est demandé de prouver son attachement au maillot, donc au pays. Comme si l’exemplarité demandée par la Fédération et les politiques s’adressait d’abord à celui-là.
En leur temps, « l’Arabe » Zinedine Zidane, le « Rital » Michel Platini ou le « Polak » Raymond Kopaszewski, ont été victimes de préjugés… avant d’être sacrés vedettes nationales. Outre-Rhin, l’extrême droite a lancé une polémique contre Jérôme Boateng, joueur allemand d’origine ghanéenne. La polémique a fini par faire pschitt, le joueur ayant été champion du monde avec la Nationalmannschaft. Cette morale vaut aussi sans doute pour la France. Si les Bleus se distinguent en juin, la polémique Benzema sera oubliée.