En haut des tremplins de saut à ski, où l’on grelotte en attendant de se lancer dans le vide, le Français est une espèce en voie de disparition. In extremis, il a été décidé d’en aligner un, le jeune Jonathan Learoyd, au départ de la mythique Tournée des quatre tremplins qui débute ce samedi 29 décembre à Oberstdorf (Allemagne). Le circuit le plus prestigieux de la discipline voit, autour du Nouvel An, les hommes volants lutter contre l’apesanteur lors de quatre étapes successives dans les Alpes.

La France évite ainsi un symbole fâcheux, sans que cela ne change rien à la quasi-disparition des sauteurs tricolores au haut niveau. Depuis la retraite d’Emmanuel Chedal en 2013, le saut à ski tricolore reposait sur les seules spatules de Vincent Descombes-Sevoie. Le natif de Chamonix a pris sa retraite en juin, à 34 ans, usé par une longue carrière. Ronan Lamy-Chappuis, le cousin de Jason (champion olympique de combiné nordique à Vancouver en 2010), absent de Coupe du monde depuis deux hivers, a aussi mis un terme à sa carrière à l’âge de 25 ans, vaincu par ses douleurs dorsales.

Jonathan Learoyd a pris la 46e place de la Coupe du monde d’Engelberg, en Suisse, le 15 décembre 2018. / FABRICE COFFRINI / AFP

Avoir enfin une concurrence à l’échelle nationale

Conséquence : il n’y a plus de groupe A en équipe de France masculine, du nom des collectifs qui, dans les sports d’hiver, s’alignent au départ des manches de Coupe du monde. Seul demeure un groupe B de trois jeunes sauteurs, 20 ans de moyenne d’âge. La Fédération française de ski (FFS) préfère consacrer ses moyens au développement d’un groupe de sauteurs plutôt que de se focaliser sur l’accompagnement d’un seul, dont les chances de réussite au plus haut niveau seraient, dans l’immédiat, minimes.

« L’objectif est de développer la performance de plusieurs athlètes simultanément, résume le directeur technique des sauts, Jérôme Laheurte. Performer d’abord en équipe sur des compétitions de moindre importance et, ensuite, amener tout un collectif en Coupe du monde. »

Ces trois sauteurs, rejoints de temps à autre par un ou deux juniors, participe donc essentiellement aux épreuves de Coupe continentale, la deuxième division mondiale du saut à ski.

« Il s’agit d’un niveau inférieur qui correspond à leur niveau, où ils peuvent jouer la victoire avec des adversaires de leur âge », rappelle leur entraîneur, Nicolas Bal. Même en Coupe continentale, cette saison, les Français peinent à exister, régulièrement rejetés en fond de classement.

« Un sentiment de survie »

Sans locomotive comme le biathlon, sans bassin de pratiquants conséquent comme le ski de fond ou l’alpin, le saut à ski, avec ses 200 à 250 licenciés, demeure une discipline de second rang pour la FFS. Son budget annuel est de 420 000 euros, la moitié de celui du biathlon. Cette enveloppe est divisée de manière égale entre les filles et les garçons. Les filles, qui ont connu leur heure de gloire aux JO de Sotchi avec la médaille de bronze de Coline Mattel (depuis retirée des tremplins), sont elles aussi en retrait malgré la présence de Léa Lemare et Lucile Morat sur les Coupes du monde et l’organisation d’une manche à Prémanon en décembre.

A l’image de Stephan Leyhe, le saut à ski allemand va bien. A titre de comparaison, il a chaque année un budget compris entre deux et trois millions d’euros, soit cinq à sept fois supérieur au saut à ski français. / CHRISTOF STACHE / AFP

« On possède de magnifiques infrastructures pour le saut en France, mais c’est beaucoup plus compliqué de trouver des moyens financiers pour l’humain, pour trouver des coachs notamment chez les jeunes », concède Jérôme Laheurte.

Pour le directeur technique, il conviendrait de « remettre un peu plus de moyens » au niveau des comités régionaux « pour que notre système soit mieux structuré à la base et avoir plus de professionnalisation dans l’encadrement, notamment dans la détection de talents dès le plus jeune âge ».

Jonathan Learoyd, qui avait intégré la finale sur petit tremplin (27e) aux JO de Pyeongchang malgré ses 17 ans, ne se plaint de rien. « On a tout pour y arriver, je peux m’entraîner quasiment quand je veux, on a du bon matériel et de supercoachs, ça va être à nous de serrer les dents », explique-t-il, tout en soulignant que sa réussite passera par une plus grande émulation. « Je pense qu’il est possible d’avoir cette mentalité d’entraide ; c’est là-dedans que je vois l’avenir du saut français. »

Celui qui s’entraîne à Courchevel, sur le tremplin des JO de 1992, vise à long terme des victoires en Coupe du monde. Du jamais-vu pour un Français depuis le succès de Nicolas Dessum à Sapporo (Japon). C’était il y a un siècle, en 1995.