« Après la tempête » : Kore-Eda assèche son cinéma sous un typhon
« Après la tempête » : Kore-Eda assèche son cinéma sous un typhon
Par Mathieu Macheret
Dans la section cannoise Un certain regard, le Japonais troque avec bonheur sa douce tendresse contre une amertume épurée.
Hiroshi Abe, Yoshizawa Taiyo et Yoko Maki dans le film japonais d’Hirokazu Kore-Eda, « Après la tempête » (« Umi yori mo Mada Fukaku »). | FUJI TELEVISION NETWORK/LE PACTE
Le cinéma d’Hirokazu Kore-Eda, infatigable peintre des familles japonaises, semblait stagner depuis quelque temps dans une entêtante ritournelle de tendresse et de mélancolie. Son nouveau film, Après la tempête, présenté en section Un certain regard, marque une inflexion salutaire, puisqu’il s’intéresse cette fois à une famille disloquée par le divorce, la garde partagée d’un enfant et la mort récente d’un aïeul. Une amertume auxquelles le cinéaste ne nous avait pas habitués depuis les très beaux Nobody Knows (2004) et Still Walking (2008), et qui a pour effet d’accroître l’épure et la concentration de sa mise en scène, sans pour autant oublier de les moduler à travers une riche palette d’humeurs.
Après la tempête manipule toute une galerie de personnages, mais dresse parmi eux le portrait d’un sublime perdant, tchekhovien en diable : Ryota, espoir déçu de la littérature dont l’immaturité crasse l’entraîne à végéter dans le métier parfois sordide de détective privé. Cette grande tige au regard doux (physique incroyable de l’acteur Hiroshi Abe) a hérité de son père une passion pour le jeu qui ne lui laisse jamais le moindre sou en poche. C’est pour ces excentricités, impropres à la vie de famille, que le bonhomme vit séparé de son fils Shingo (Taiyo Yoshizawa), 11 ans, et de sa femme Kyoko (Yoko Maki), qui depuis a rencontré un autre homme. Mais, un soir de typhon, tous les trois se retrouvent à devoir passer la nuit chez la mère de Ryota, qui nourrit le secret espoir de les voir réconciliés.
Camaïeu de beiges et de gris
Le film, fait de conversations, ne s’en tient pas à cette seule trame, mais la laisse infuser dans le flux d’une existence ordinaire – ici la préparation d’un repas, là au cours d’une promenade – au rythme faussement apaisé des heures creuses. Affleurent alors, au détour d’un mot drôle ou d’une situation cocasse, la douleur larvée, le désappointement, l’inexorable érosion des existences. Kore-Eda recueille ces humeurs dans un subtil camaïeu de beiges et de gris, lié aussi bien à la lourdeur du climat saisonnier qu’à ces fades barres d’immeubles qu’habitent les personnages, écrins blêmes de leurs sentiments. Dans la très belle et longue scène du typhon, les paroles scintillent au plus profond d’une nuit tourmentée, où chacun apprendra à accepter la séparation comme la seule clé possible d’une continuité malgré tout.
Trailer de After the Storm — Umi yori mo Mada Fukaku (HD)
Durée : 01:50
Film japonais d’Hirokazu Kore-Eda avec Hiroshi Abe, Yoko Maki, Taiyo Yoshizawa (1 h 57). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/apres-la-tempete