Attentat, fusillade, homophobie, terrorisme : après la tuerie d’Orlando, l’importance des mots
Attentat, fusillade, homophobie, terrorisme : après la tuerie d’Orlando, l’importance des mots
Par Adrien Sénécat, Violaine Morin
Dans le débat sur le choix des termes pour évoquer la tuerie qui a fait au moins 49 morts, c’est notamment la reconnaissance des victimes qui est en jeu.
La tuerie d’Orlando (Floride) dans la nuit du samedi 11 au dimanche 12 juin est la plus meurtrière de l’histoire des Etats-Unis. Au moins 49 personnes sont mortes (plus le tireur lui-même) et 53 autres ont été blessées au Pulse, une boîte de nuit LGBTQ (Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queers), selon un bilan non définitif. Le tireur présumé, Omar Mateen, a prêté allégeance à l’organisation Etat islamique.
L’essentiel à retenir
- Un homme lourdement armé a ouvert le feu au Pulse, une boîte de nuit gay d’Orlando ;
- Le FBI a confirmé qu’il s’agissait d’Omar Mateen, un citoyen américain de 29 ans, né de parents afghans ;
- Il a pris en otages plusieurs personnes avant d’être abattu par les forces spéciales ;
- 49 personnes sont mortes, 53 ont été blessées ;
- L’Etat islamique a revendiqué l’attaque.
Fusillade de masse, attentat, attaque terroriste, crime homophobe… Quels mots employer pour qualifier ce drame ? Alors que les Américains rendent hommage aux disparus, pour la communauté LGBTQ, la reconnaissance des victimes passe aussi par le choix des mots.
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Attentat ou fusillade de masse ?
Voici les définitions des différents termes employés pour évoquer la tuerie d’Orlando :
Fusillade. Selon les définitions, les tirs doivent être réciproques ou non. En pratique, l’emploi est largement répandu dans les médias au sujet de meurtres perpétrés par un tireur actif, sans qu’il y ait échange de tirs. Par ailleurs, le Federal Bureau of Investigation (FBI) parle de tuerie de masse à partir de quatre victimes. On peut donc parler d’une « fusillade de masse » dans le cas d’Orlando, étant donné la gravité du bilan.
Attentat. Le Larousse le définit comme une « atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ». On retrouve la même notion dans le Robert, qui y voit une « tentative criminelle contre une personne » ou « contre quelque chose » (un homme politique, la liberté, la sûreté de l’état…).
L’attentat dépasserait donc la simple notion de meurtre ou d’acte criminel et se caractériserait plutôt par sa portée symbolique, au-delà même des faits. Ce qui ouvre la porte aux interprétations. Le président américain Barack Obama a contribué à donner cette dimension symbolique à la tuerie d’Orlando en évoquant « un acte de terreur et de haine » dimanche 12 juin. Au sujet d’Orlando, on peut donc à la fois parler de fusillade et d’attentat, sachant que les deux expressions évoquent deux aspects différents du drame (le massacre par les armes pour la première, l’horreur et ses répercussions symboliques pour la seconde).
Terrorisme ou crime homophobe ?
Homophobie. Pour le Larousse, c’est « l’hostilité systématique à l’égard des homosexuels », qu’on peut élargir à l’ensemble de la communauté LGBTQ. En France, l’homophobie est aussi une notion juridique : l’article 132-77 du code pénal prévoit que le fait de commettre une infraction en raison de « l’orientation sexuelle de la victime » est une circonstance aggravante à plusieurs crimes ou délits.
La tuerie est-elle un crime homophobe ? Outre le fait qu’il était difficile d’ignorer que le Pulse était un haut lieu de rassemblement de la communauté gay d’Orlando, des déclarations à NBC News de Seddique Matteen, le père du terroriste présumé, Omar Mateen, accréditent cette hypothèse. Selon lui, son fils s’était mis en colère en voyant deux hommes s’embrasser à Miami deux mois avant le drame.
Terrorisme. A quel moment peut-on qualifier un tueur de « terroriste » ? La question fait débat selon les situations et les pays. En France, le code pénal définit comme actes de terrorisme les infractions qui sont « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. » Le Patriot Act américain y voit également une « activité destinée à intimider ou contraindre les populations civiles, influencer la politique du gouvernement par intimidation ou coercition ».
Au moins trois conceptions s’opposent pour définir l’acte terroriste :
- on ne peut pas distinguer tuerie de masse et terrorisme, ce qui fait donc automatiquement d’une fusillade meurtrière comme celle d’Orlando un acte de terrorisme ;
- ce sont les motivations du coupable qui entrent en ligne de compte, un « déséquilibré » ne pouvant notamment pas être considéré comme « terroriste » ;
- c’est la revendication ou non des faits par un groupe terroriste qui prime.
Dans le cas d’Orlando, le débat est donc de savoir si la revendication de l’attaque par Daech suffit à parler de « terrorisme », ou s’il faut attendre les avancées de l’enquête sur le profil d’Omar Mateen et ses motivations pour se prononcer. La justice américaine aura elle aussi son mot à dire en qualifiant les faits sur le plan juridique.
Un acte terroriste et homophobe ?
La différence de sens entre les mots « crime raciste et/ou homophobe » et « acte terroriste » revêt un sens particulier pour les minorités. C’était déjà le cas à Charleston, en Caroline du Sud, en juin 2015, lorsque le suprémaciste blanc Dylan Roof a ouvert le feu dans une église fréquentée par des Afro-Américains. S’il a finalement été inculpé pour « crime raciste » par la justice fédérale (qui requiert la peine de mort à son encontre), la question s’est posée de qualifier l’attaque comme un acte « terroriste ». Le président Barack Obama avait au contraire souligné la dimension politique de cette tuerie, qui rappelait « les heures les plus sombres de l’histoire ».
Dans le cas présent, la tuerie d’Orlando peut être considérée à la fois comme un acte terroriste et un crime homophobe. Reste à savoir laquelle de ces deux qualifications va être mise en avant.
Pour la communauté LGBTQ, l’enjeu est de faire qualifier l’événement en une attaque anti-gay, donc de le faire figurer dans la longue liste des attaques contre des boîtes de nuit gays depuis les années 1970 :
- en 1973, à la Nouvelle-Orléans, le UpStairs Lounge a été incendié, provoquant la mort de 32 personnes en moins de vingt minutes ;
- en 1996, Eric Robert Rudolph, l’« Olympic Park Bomber », a posé une bombe dans l’Otherside Lounge, une boîte de nuit lesbienne à Atlanta ;
- en 2000, Ronald Gay a ouvert le feu sur le Backstreet Cafe, à Roanoke, en Virginie, faisant un mort et six blessés ;
- en 2013, Musab Mohammed Masmari a mis le feu au Neighbours, une boîte de nuit de Seattle, la nuit de la Saint-Sylvestre. Il a expliqué qu’il pensait que les gays « devaient être exterminés ».
Ces attaques contre des lieux de fête s’ajoutent à la longue liste des agressions et meurtres homophobes individualisés.
Déjà, des voix s’élèvent pour protester contre le traitement médiatique de l’attaque au Pulse, plus souvent qualifiée de crime terroriste que de « hate crime » (« crime de haine » en français, sous-entendu « homophobe »).
La revue de presse de Nicolas Martin, diffusée ce matin sur France Culture, parle « d’invisibilisation » dans la presse française, parce que cette information est reléguée au second plan, selon lui. « Il n’y a pas un grand titre qui inclut cette information, qui n’est pourtant pas accessoire. Cette discothèque, ce club… c’est un club gay. »