Avec Supercell, Tencent s’offre une horde de barbares
Avec Supercell, Tencent s’offre une horde de barbares
LE MONDE ECONOMIE
Le géant chinois de l’Internet débourse 7,5 milliards d’euros pour acquérir l’éditeur du jeu vidéo Clash of Clans.
Ilkka Paananen, cofondateur de Supercell, à Helsinki, le 21 juin. | Seppo Samuli / AP
Sept milliards et demi d’euros pour quelques millions de barbares armés : le géant chinois de l’Internet, Tencent, a annoncé, mardi 21 juin, le rachat au japonais Softbank Group de ses parts dans Supercell Oy, l’éditeur finlandais de jeux vidéo pour smartphone, pour 8,6 milliards de dollars (7,5 milliards d’euros). « Le conseil d’administration est heureux d’annoncer que le groupe a décidé d’acquérir une part majoritaire de Supercell », a déclaré Tencent dans un communiqué à la Bourse de Hongkong.
Supercell Oy est notamment l’éditeur de l’ultrapopulaire Clash of Clans (2012), un jeu massivement multijoueur dans lequel chaque joueur crée son armée pour conquérir des territoires, et de Clash Royale, sorti en 2016. Au total, l’éditeur revendique 100 millions de joueurs à ses différents titres. Fondé en 2010 à Helsinki par Ilkka Paananen, avec six développeurs expérimentés, Supercell s’est rapidement imposé comme l’un des principaux studios de jeux pour mobile, porté par le succès de Clash of Clans.
Après plusieurs années de très forte croissance, le chiffre d’affaires de Supercell Oy a atteint, en 2015, 2 milliards d’euros, pour 820 millions d’euros de bénéfices. Les jeux de l’éditeur sont gratuits, mais les joueurs peuvent acheter différents bonus – un modèle économique baptisé « free to play » qui a fait ses preuves pour de nombreux éditeurs sur mobile, et qui repose sur la chasse à ce que les professionnels du secteur appellent les « baleines ».
Pour Tencent, l’investissement est logique
Le terme désigne les joueurs capables de dépenser des sommes extrêmement importantes – parfois plus de 1 000 euros par mois – dans l’achat de bonus. Ces joueurs sont rares, mais fournissent l’essentiel des revenus, la vaste majorité des joueurs ne dépensant jamais d’argent dans ces jeux, qui comportent aussi pour certains des publicités.
Pour Tencent, l’investissement est logique – le géant chinois du Web, qui possède le réseau social WeChat, le portail QQ.com, ou encore la messagerie instantanée Tencent QQ, a déjà mis un pied avec succès dans le jeu vidéo. Il a pris le contrôle en 2011 de League of Legends, un jeu d’arène en ligne très populaire qui dispose d’une importante communauté de joueurs professionnels. Pour 230 millions de dollars, League of Legends a été un investissement très rentable : en 2015, le jeu a rapporté 1,63 milliard de dollars de chiffre d’affaires, selon les estimations des analystes de SuperData Research.
Tencent a également présenté le 11 mai sa future console de jeux, baptisée « The Blade » et destinée au marché chinois, sans donner de date de lancement ou de prix – une console qui permettra bien sûr de jouer à League of Legends et devrait également accueillir les jeux de Supercell. Softbank cherchait de son côté en priorité à stabiliser son investissement dans l’opérateur américain Sprint, racheté il y a trois ans et dont le redressement est plus coûteux que prévu.
Des éditeurs historiques en difficulté
Le montant du rachat est le plus élevé jamais atteint pour un éditeur de jeux pour mobile, et considéré par la plupart des analystes comme au-dessus du marché – en 2015, l’entreprise était évaluée à environ 4,5 milliards d’euros. Le précédent record avait été établi par Activision Blizzard, qui avait déboursé 5,2 milliards d’euros en 2015 pour s’offrir King Digital, l’éditeur de Candy Crush.
Mais ces rachats élevés sont loin d’être toujours couronnés de succès. Confrontés à la difficulté de se renouveler, voire de sortir un « deuxième succès », les éditeurs et studios de jeux pour mobile restent des investissements risqués. En 2011, Electronic Arts avait racheté PopCap Games (Plants vs Zombies) pour 1,15 milliard d’euros. Malgré le succès de ses premiers titres, PopCap Games a dû licencier 50 employés en 2012, puis fermer son studio de développement irlandais.
Plusieurs autres grandes gloires du jeu sur mobile sont également dans des passes difficiles. Zynga, l’éditeur de Farmville, l’un des plus grands succès des jeux sur Facebook et sur téléphone, a vu en 2014 son nombre de joueurs actifs quotidiens chuter de moitié, passant de 53 à 28 millions. L’éditeur avait alors procédé à des licenciements, mais la situation ne s’est guère améliorée – début 2016, il a mis en vente son siège. Rovio, autre éditeur mondialement connu pour sa série Angry Birds – qui a totalisé plus de 1 milliard de téléchargements dans le monde –, est également dans une situation délicate. En 2014 et 2015, ses bénéfices ont fondu, et il a procédé à plusieurs séries de licenciements, poussant deux PDG successifs à la démission en l’espace d’un an.
Supercell estime avoir les outils pour ne pas connaître le déclin de ses concurrents, notamment parce que l’entreprise a toujours cherché à concevoir des jeux ayant une longue durée de vie. « Ce rachat va nous permettre d’atteindre l’avenir dont nous avons toujours rêvé », a dit le PDG de l’entreprise, Ilkka Paananen, qui voit dans le marché chinois un ample réservoir de nouveaux joueurs. Le président de Tencent, Martin Lau, a, de son côté, promis que le studio finlandais conserverait son indépendance créative.