Cannes 2016 : « Baccalauréat », un examen de conscience à la roumaine
Cannes 2016 : « Baccalauréat », un examen de conscience à la roumaine
Par Thomas Sotinel
En compétition, Cristian Mungiu excelle en montrant l’apprentissage de la corruption par un honnête homme.
Situés chacun à une extrémité du Festival, les deux films roumains de la compétition cannoise n’ont sans doute pas fait grand-chose pour le tourisme dans leur pays. Ils ont en partage un pessimisme rageur et un regard impitoyable sur la classe moyenne roumaine. Et pourtant, on ne peut imaginer deux œuvres plus différentes.
Loin de la démonstration virtuose de chaos familial que Cristi Puiu a offert il y a dix jours avec Sieranevada, le Baccalauréat de Cristian Mungiu (Palme d’or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours) est – comme son nom l’indique – un examen, minutieux et dans un premier temps détaché, de ce qui est ici présenté comme l’un des fondements de la société roumaine contemporaine, le trafic d’influence.
Filmé en longs plans-séquences, Baccalauréat fonctionne comme un piège pour son personnage central, le docteur Romeo Aldea (Adrian Titieni), médecin hospitalier dans une petite ville. Quand le film commence, il dort sur le canapé du salon. Son épouse (qui a gardé l’usage du lit conjugal) et lui-même se préparent au départ pour le Royaume-Uni de leur fille, qui a obtenu une bourse pour y étudier. Il ne reste à Eliza (Maria Dragus, découverte dans Le Ruban blanc, de Michael Haneke) qu’à passer son baccalauréat. Mais à la veille de la première épreuve, elle est agressée par un inconnu. Choquée, le poignet luxé, elle risque fort de ne pas obtenir les notes nécessaires à la confirmation de sa bourse. Romeo tente alors de prendre une série de mesures correctives qui impliquent un fonctionnaire de police, un élu municipal, un cadre enseignant. A chaque fois, il s’agit d’échanger des services, de se promettre des faveurs à venir, un bond sur la liste d’attente pour une greffe en échange d’une conversation avec le responsable d’un centre d’examens, par exemple.
Gros nounours
Cristian Mungiu filme l’apprentissage de la corruption par un honnête homme et la foudroyante contagion de ce mal que d’aucuns estiment nécessaire. En quelques jours, tout l’entourage du bon docteur est contaminé. De même qu’il parvenait, dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours, à donner une idée très précise de l’état de la société roumaine à la veille de la chute de Ceausescu, le réalisateur excelle ici dans la mise en évidence des mécanismes de la compromission et de leur emprise sur toutes les entreprises humaines.
Si le phénomène est universel, il se singularise ici par un dégoût de sa propre histoire d’une terrible violence. Le docteur Aldea et sa femme sont rentrés d’exil après la révolution de 1989, et sont rongés par l’échec de la tentative de construction d’une démocratie réellement existante. Pour le médecin, sa fille ne trouvera le salut qu’en dehors de son pays natal. On s’attend après ce film à ce que Mungiu s’intéresse à la diaspora roumaine dans le monde.
L’interprète, principal, Adrian Titieni, se met au diapason de la précision analytique de son réalisateur. Tour à tour bloc massif et gros nounours, il lui rend très précisément compte de l’enchaînement de réflexions, de mensonges et de renoncements qui peuvent amener un homme à clore un débat intérieur en se mentant à lui-même. Lia Bugnar en épouse harassée, Vlad Ivanov en policier aussi plein de bonne volonté que de corruption, tous les seconds rôles participent de cette entreprise de dissection. Cinéaste et interprètes s’interdisent toute ironie, au risque, pleinement assumé, d’alourdir le film.
Caméra placide
Ce pari est payant. Le mensonge social répond au mensonge intime. Romeo Aldea (dont le physique massif dément le prénom) s’apprête à quitter son épouse, il n’a pas révélé à sa propre mère la gravité du mal qui la frappe. Petit à petit, la douleur provoquée par ces tromperies plus ou moins bien intentionnées (et qui ne sont pas toujours celles auxquelles on s’attend) finit par sourdre à la surface du film. S’y ajoute une inquiétude sourde, nourrie par des incidents inexpliqués, filmés du point de vue éberlué du protagoniste, qui ne sont peut-être que l’expression de sa culpabilité.
La caméra reste toujours aussi placide, ne se déplaçant qu’horizontalement (lorsque Romeo chute, il sort du cadre), mais les êtres qui peuplent le champ ne supportent plus le mal qu’ils se font les uns aux autres, tentent de réparer l’irréparable, d’aller de l’avant envers et contre tout. Baccalauréat atteint alors une intensité d’autant plus marquante qu’on l’a attendue.
Baccalauréat - Extrait
Durée : 01:27
Film roumain de Cristian Mungiu avec Adrian Titieni, Maria Dragus, Lia Bugnar (2 h 07). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/baccalaureat