Ces petits nouveaux qui vont détrôner Western Union et MoneyGram en Afrique
Ces petits nouveaux qui vont détrôner Western Union et MoneyGram en Afrique
Par Morgane Le Cam (contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou)
L’arrivée de plusieurs start-up sur le marché du transfert d’argent va casser l’envolée des commissions qui peuvent atteindre jusqu’à 15 % des montants envoyés.
Du goudron des capitales africaines jusqu’aux ruelles des villages, ses agences jaune et noir sont incontournables. Depuis vingt ans, les 35 000 points de retrait d’argent de Western Union répartis dans une cinquantaine de pays africains ont fait du groupe le roi du transfert d’argent entre le Nord et Sud. Derrière lui, MoneyGram. A eux deux, les Américains contrôlent les deux tiers des points physiques de transfert en Afrique.
Cette mainmise leur permet de pratiquer des tarifs élevés qui font de plus en plus grincer des dents les Africains expatriés. Selon un rapport publié en avril 2014 par l’ONG britannique Overseas Development Institute (ODI), les commissions prises par Western Union seraient en moyenne de 10 % du montant envoyé et de 15 % pour MoneyGram. Des taux bien au-dessus de la moyenne mondiale : 7,8 % pour un envoi de 200 dollars (180 euros).
Aussi la concurrence est-elle montée au créneau pour casser les prix et se faire une place dans un marché florissant. En 2015, les transferts d’argent vers l’Afrique subsaharienne ont pesé 31,4 milliards d’euros. Une croissance de 1 % par rapport à 2014 et qui va s’accélérer dans les prochaines années : 3,4 % de croissance attendue en 2016 et 3,7 % en 2017.
Frais deux fois moins élevés, services en ligne, sur mobile, envoi d’argent sous forme de biens de consommation et de services (cash-to-goods) : ces cinq dernières années, des start-up qui révolutionnent le secteur financier sont sorties du Web avec l’ambition de détrôner les deux rois du transfert d’argent.
WorldRemit, le transfert en ligne
Avec 300 000 transactions par mois pour un montant mensuel moyen de 100 millions de dollars (90 millions d’euros), WorldRemit fait partie de ces petits acteurs économiques qui grimpent sur le continent. « La majorité de nos clients vient de Western Union, car ils ont été désenchantés par les prix pratiqués, explique Catherine Wines, cofondatrice de la start-up britannique. Nos commissions se situent en moyenne entre 4 % et 5 % du montant envoyé. »
Si la jeune pousse, depuis sa création en 2010 par le Somalien Ismail Ahmed, peut proposer des prix réduits, c’est grâce à son modèle de transfert d’argent, en ligne ou sur smartphone, et donc moins cher à gérer. L’opportunité, aussi, d’y déployer plusieurs options de transfert afin de prendre un maximum de parts de marché. WorldRemit joue la carte multiservice dans 41 pays d’Afrique et propose le transfert d’argent par virement bancaire, retrait d’espèces dans des commerces partenaires, crédit sur le porte-monnaie mobile du receveur ou encore directement en minutes de téléphone.
Le 10 mai, la start-up a annoncé la signature d’un partenariat avec le géant émirati du transfert UAE Exchange. L’objectif : augmenter encore sa couverture en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. Quant à UAE Exchange, il a adopté l’interface de programmation de versement de WorldRemit et capte ainsi une innovation qui a déjà fait ses preuves à moindres frais. Un moyen de rester à la page pour ne pas se laisser dépasser par les nouveaux arrivants.
Un guichet de Western Union.
PayTop, la carte multidevise
Pour se passer de l’étape parfois fastidieuse du retrait d’argent liquide en agence, PayTop a créé une carte multidevise. « Il s’agit d’une Mastercard rechargeable en livres, en dollars et en euros directement sur notre site, explique David Boucher, président de la start-up française créée en 2012. Un migrant en France peut par exemple acheter cette carte et la remettre à un parent résidant à l’étranger afin qu’il puisse payer directement chez un commerçant ou retirer dans n’importe quel distributeur sans frais, tout en contrôlant ses dépenses. »
La carte vise en priorité le voyageur ayant fréquemment besoin de jongler avec les devises. Mais, pour l’Afrique subsaharienne, où seulement 24 % de la population a accès à une banque, une telle carte, gérée et rechargée à distance, offre une solution clé en main pour dépenser l’argent transféré facilement et sans compte bancaire. « Nous sommes en train d’étudier la possibilité d’intégrer le franc CFA à notre carte, explique David Boucher. L’Afrique est notre premier marché. »
A l’image de WorldRemit, PayTop, qui revendique 93 000 clients depuis sa création et un flux de 15 millions d’euros en 2015, propose également d’autres options de transfert d’argent disponibles dans 34 pays d’Afrique tels que le retrait en agence, vers un compte bancaire ou crédité en minutes de téléphone. Prochaines étapes : ajouter un service de porte-monnaie électronique sur mobile et faire en sorte que PayTop soit accessible depuis l’ensemble des pays européens francophones d’ici la fin de l’année.
Mergims, l’argent transformé en biens de consommation
« 90 % des fonds que les migrants envoient en Afrique sont consommés immédiatement. Leur problème majeur est qu’ils sont parfois mal utilisés par le receveur », analyse Louis-Antoine Muhire, un Rwandais qui, en février 2015, a trouvé la solution à un problème qu’il connaît bien en créant Mergims. Une application, pour l’instant uniquement sur Androïd, grâce à laquelle une personne installée à l’étranger peut payer pour un parent un service directement auprès d’une administration rwandaise.
La start-up revendique actuellement 2 550 clients et fonctionne uniquement au Rwanda pour le paiement des factures d’électricité et des frais de scolarité dans cinq des quinze universités du pays. « D’ici à la fin de l’année, nous aurons des accords avec toutes », assure Louis-Antoine Muhire.
En juin, Mergims ouvrira son service aux pharmacies rwandaises, puis aux banques. « Nous offrirons les services de banques locales sur notre plateforme. Cela nous permettra de faire du paiement de crédit à distance pour un proche resté au Rwanda, par exemple. »
Un modèle d’envoi d’argent récupéré sous forme de biens de consommation et de services (cash-to-goods), que Louis-Antoine Muhire compte étendre à d’autres pays d’Afrique tels que le Cameroun, le Ghana, le Kenya et l’Ouganda. « La technologie est prête et notre modèle a besoin de seulement trois personnes par pays pour être développé. » Pour concrétiser sa conquête, Mergims a entamé une campagne de levée de fonds de 300 000 dollars.
L’ambition de la start-up a tapé dans l’œil de MoneyGram. « Nous proposerons sûrement leurs services sur notre application », explique le directeur. Parfois, la concurrence a du bon pour les gros poissons.
Afrimarket, transfert et e-commerce
C’est le géant du cash-to-goods. Fondée en 2013 par trois entrepreneurs français, l’entreprise offre ses services à près de 50 000 clients en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, au Sénégal et au Cameroun. En 2015, « quelques millions » ont transité via son application et son site de transfert. Mais le tableau de chasse est loin d’être rempli. Afrimarket est en phase de levée de fonds pour plusieurs millions d’euros afin de se déployer au Mali et au Burkina Faso.
Son modèle de transfert repose sur l’e-commerce. Plutôt que d’envoyer de l’argent qui sera récupéré en liquide par le destinataire, celui-ci choisit des biens directement sur le catalogue en ligne d’Afrimarket. Le destinataire retire ensuite la commande ou se la fait livrer chez lui en moins de cinq jours.
« Nous sommes une plate-forme d’e-commerce dédiée à l’Afrique », précise Rania Belkahia, directrice d’Afrimarket. Pour la diaspora, nous sommes un substitut aux opérateurs classiques de transfert d’argent et, pour la clientèle locale, on remplace un Amazon africain. »
Depuis septembre 2015, Afrimarket a lancé en Côte d’Ivoire son service d’e-commerce à destination des consommateurs locaux avec un moyen de paiement unique que les Ivoiriens connaissent bien : Orange Money.
En 2015, Orange a investi un million d’euros dans la start-up et les projets ne manquent pas. « Orange va distribuer notre solution Afrimarket sur une application mobile téléchargeable par ses clients en France », annonce Rania Belkahia.
Récemment, le géant des télécoms a ouvert sa première boutique Orange Money à Paris. A partir du mois de juin, les expatriés devraient ainsi pouvoir transférer de l’argent dans quatorze pays d’Afrique. Un concurrent de plus, et de taille, pour Western Union et MoneyGram.
Lemon Way, le transfert comme les grands
En moins de deux ans, la start-up française créée en 2007 a réussi à concurrencer Orange Money au Mali grâce à son partenaire Lemon Way Mali. Depuis, 900 000 comptes utilisateurs y ont été ouverts. Mais le service financier sur mobile ne permet pas encore à l’argent de traverser les frontières. A l’instar d’Orange Money, ça sera chose faite d’ici à la fin de l’année.
Début 2016, la start-up a créé une nouvelle filiale, Lemon Way Africa avec pour ambition de s’implanter dans plusieurs pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et de la zone de la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale (Cemac) afin d’y proposer un service de transfert d’argent depuis la France. « On va commencer par le Mali, puis nous ouvrirons des succursales au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, précise Emmanuel de Cazotte, membre du conseil de surveillance de Lemon Way. Nous voulons proposer des services bancaires mobiles à bas coût et accessibles quel que soit l’opérateur du client. »
La nouvelle filiale va également permettre au français de se placer sur un marché encore émergent en Afrique : le financement participatif. Lemon Cagnotte devrait être lancée d’ici à la fin de l’année pour permettre d’organiser une collecte d’argent en ligne, accessible depuis la France et dans plusieurs pays africains pour financer à plusieurs un projet ou un événement. Lemon Funding permettra quant à lui aux Africains de soumettre en ligne leurs projets entrepreneuriaux au financement participatif ou d’en financer.
Wizall, vingt pays en trois ans
Il n’opère pour l’instant qu’au Sénégal mais compte conquérir une vingtaine de pays en trois ans, à commencer par le Burkina Faso, le Mali et la Côte d’Ivoire. Au Sénégal, la toute jeune pousse locale, active depuis novembre 2015, revendique déjà 100 000 utilisateurs et a réussi à tisser un réseau de 5 000 points de retrait d’argent grâce à son partenariat avec TigoCash et Total. « Il fallait pouvoir rendre nos services accessibles mêmes dans les zones enclavées, or les pétroliers disposent des meilleurs réseaux », souligne Ken Kakena, l’un des fondateurs de la start-up.
Les stations-service ne servent pas seulement de points de retrait du transfert en liquide. Wizall permet aussi aux personnes qui envoient leur agent de le convertir en « bons utiles » : carburant, aliments, livres, biens culturels, grands magasins… « On croit beaucoup au développement du cash-to-goods, car c’est le seul moyen de baisser considérablement les frais de transfert », explique Ken Kakena. Voire de les supprimer. La start-up qui prend pour l’instant une commission fixe de 5 % souhaite bientôt proposer ses transferts en biens de consommation gratuitement en faisant payer le commerçant partenaire plutôt que l’utilisateur.
En juin, Wizall proposera des bons dans les cimenteries, un marché en plein essor sur le continent. « Beaucoup d’Africains de la diaspora construisent à distance une maison dans leur pays d’origine ou financent celle de leurs proches, note Ken Kakena. Ce type de transfert est déclinable à l’infini. » Pour preuve, à l’occasion du début du ramadan, Wizall lancera un panier alimentaire spécialement élaboré, payable en ligne et envoyé directement aux musulmans sénégalais… sans frais de transfert.