Comment Paris et Brazzaville tentent de se réconcilier sur le dos du général Mokoko
Comment Paris et Brazzaville tentent de se réconcilier sur le dos du général Mokoko
Par Joan Tilouine
L’opposant congolais, assigné à résidence, a reçu la visite successive de deux Français, venus lui proposer le même « deal » : reconnaître la victoire de Denis Sassou-Nguesso et retrouver la liberté.
Depuis près de trois mois, Jean-Marie Michel Mokoko tourne en rond dans sa villa du centre de Brazzaville. Candidat malheureux à la présidentielle du 20 mars, arrivé troisième selon les résultats officiels, il est aujourd’hui assigné à résidence. Denis Sassou-Nguesso, réélu dès le premier tour avec 60 % des voix, lui reproche de contester la légitimité de son pouvoir. Et accuse ce général formé à Saint-Cyr d’avoir ourdi un complot visant à déstabiliser le pays pour prendre le pouvoir par la force.
Le régime affirme qu’il dispose d’éléments de preuves d’un plan pensé avec certains ressortissants français, notamment 70 pages de transcriptions de conversations téléphoniques. Ce que dément Jean-Marie Michel Mokoko, qui attend son heure, comme il dit, privé de mouvements et de visites.
La routine et l’ennui ont néanmoins été récemment brisés par les visites successives d’un intermédiaire français et de l’ambassadeur de France.
Un binôme pour détendre l’atmosphère
Dimanche 22 mai, l’homme d’affaires français Jean-Yves Ollivier a franchi les barrages et contrôles des policiers qui montent la garde, en uniforme ou en civil. Ami proche de Denis Sassou-Nguesso, qu’il conseille et promeut à l’étranger, il se dit aussi diplomate de l’ombre. « J’agis en tant que Jean-Yves Ollivier, les gens me connaissent », explique-t-il.
M. Mokoko et M. Ollivier s’étaient déjà rencontrés un mois plus tôt. Malgré les efforts de l’émissaire de Denis Sassou-Nguesso, l’opposant n’a pas fait la déclaration escomptée, dans laquelle il était censé reconnaître la légitimité de la « nouvelle République ». Et donc la victoire de M. Sassou-Nguesso. Le texte qu’il devait lire a fait plusieurs allers-retours et fut amendé à la virgule près par les deux adversaires à la présidentielle. « Ce que me proposait M. Ollivier, c’était comme une capitulation. Pas question pour moi de plier face à un régime que Paris, Washington et l’Union européenne ne reconnaissent pas », explique M. Mokoko, joint par téléphone.
Ce dimanche 22 mai, Jean-Yves Ollivier a donc un nouveau plan, et surtout un nouveau partenaire avec lequel il a coordonné cette négociation. Il s’agit de l’ambassadeur de France au Congo, Jean-Pierre Vidon. Ce diplomate, dont le mandat est arrivé à terme fin mai, a vu sa mission prolongée à Brazzaville pour tenter de détendre la situation politique congolaise et de trouver une issue à la situation de M. Mokoko. Cela afin de poser les bases d’une nouvelle relation entre la France et le Congo, qui n’a « jamais été aussi mauvaise », déplore-t-on à Paris.
Le Congo n’a d’ailleurs toujours pas d’ambassadeur en France, s’étant vu refuser l’agrément pour Alain Akouala Atipault, finalement nommé ministre des zones économiques spéciales dans le nouveau gouvernement. Pourtant, la normalisation diplomatique est amorcée : Bertrand Cochery va quitter l’ambassade de France à Conakry pour la Case de Gaulle à Brazzaville ; et l’ancien ministre des affaires étrangères congolais, Rodolphe Adada, devrait être proposé comme ambassadeur du Congo en France. Même si, pour le moment, aucune demande d’agrément d’ambassadeur n’a été transmise, indique-t-on à Paris.
Quid du binôme Ollivier-Vidon auprès de M. Mokoko pour négocier un apaisement et permettre de faciliter le réchauffement entre Paris et Brazzaville ? « M. Ollivier ne représente rien d’autre que lui-même et ses clients, il n’est en aucun cas mandaté par la France pour discuter avec M. Mokoko », précise-t-on à l’Elysée.
« Assouplissement et action pacifique »
Ce dimanche 22 mai, M. Ollivier a fait une offre simple. « Reconnaître l’élection et la légitimité de Denis Sassou-Nguesso en échange d’un assouplissement de mes conditions de vie et d’un engagement à une action pacifique dans l’opposition, explique M. Mokoko. M. Ollivier m’a laissé entendre que la France ne ferait plus d’efforts pour moi et les autres opposants, car les relations entre Paris et Brazzaville se normalisent. Il a dit que, d’ailleurs, le lendemain, l’ambassadeur de France au Congo allait venir me voir pour me le dire. »
Lundi 23 mai, Jean-Pierre Vidon s’est en effet rendu chez M. Mokoko, visiblement informé de la teneur de l’entretien de la veille. « Il était au courant de la visite de M. Ollivier et ne se cachait pas de collaborer avec lui, reprenant même les termes de son offre », lâche M. Mokoko. Contacté, Jean-Pierre Vidon n’a pas souhaité réagir. Mais au sein de sa hiérarchie, on minimise le rôle de M. Ollivier et on salue une « action humanitaire et des efforts importants de l’ambassadeur qui a été le seul acteur neutre à pouvoir se rendre chez M. Mokoko et ainsi évaluer ses conditions de vie ».
Ces derniers temps, M. Vidon avait tenté de convaincre Denis Sassou-Nguesso de laisser M. Mokoko sortir de sa résidence, voire de quitter le pays avec une discrète logistique française. En vain. « Ce fut perçu comme une ingérence », lâche-t-on dans l’entourage de M. Sassou-Nguesso.
Confiné chez lui, M. Mokoko observe ainsi le « drôle de jeu » de ses rares visiteurs et les efforts de Denis Sassou-Nguesso pour obtenir un ralliement international autour de sa réélection. Après trente-deux ans au pouvoir, celui-ci avait modifié la Constitution en octobre 2015 pour pouvoir se faire réélire le 20 mars dès le premier tour. La France a pointé un « contexte préoccupant ». L’Union européenne s’est inquiétée d’« atteintes aux droits de l’homme, arrestations et intimidations ». Les Etats-Unis ont dénoncé des « irrégularités généralisées ». Aucune de ces puissances n’a adressé de messages de félicitation à Denis Sassou-Nguesso comme l’ont fait les chefs d’Etat d’Afrique centrale, Vladimir Poutine et le roi du Maroc, réunis sur une grande affiche disposée… juste en face à l’ambassade de France à Brazzaville.
« En Afrique, 5 présidents totalisent 164 années au pouvoir »
Durée : 05:47