En Afrique, la difficile lutte contre le détournement de l’aide au développement
En Afrique, la difficile lutte contre le détournement de l’aide au développement
Par Raoul Mbog
La fraude et la corruption coûtent chaque année 148 milliards de dollars à l’Afrique, selon des estimations de la Banque mondiale.
L’affaire a agité le Landerneau politique béninois au printemps 2015, après que les Pays-Bas ont découvert qu’une partie de leur aide publique au développement à destination du Bénin avait été détournée. Une dizaine de hauts fonctionnaires et deux hommes d’affaires sont accusés d’avoir distrait en 2014 plus de 4 millions d’euros au détriment d’un programme d’appui à l’aménagement hydraulique d’un montant global de global de 66 millions d’euros.
Selon les Pays-Bas, la manœuvre n’a pu se faire qu’avec l’implication sinon l’assentiment du ministre de l’énergie et de l’eau d’alors, Barthélemy Kassa, l’un des piliers du régime de l’ancien président Boni Yayi. Ils exigent que toutes les personnes épinglées soient traduites devant la justice et suspendent leur coopération avec le Bénin.
Ce scandale a été disséqué lors d’un séminaire jeudi 9 juin à Paris sur le thème : améliorer la lutte contre le détournement de l’aide internationale au développement. Le colloque était organisé par les cabinets Kroll et Crowe, qui ont réalisé l’audit ayant permis de mettre au jour le détournement de l’aide néerlandaise au développement ainsi que le vaste réseau de fraude et de corruption dans l’administration du Bénin.
Jos van Aggelem était en poste à Cotonou au moment des faits. Il est à la retraite depuis dix mois. L’ancien ambassadeur des Pays-Bas a longuement rappelé la genèse de l’affaire ainsi que la bataille menée par son pays pour que la justice béninoise s’empare du dossier. M. Aggelem a également pointé les nombreux obstacles politiques qu’il a fallu lever : Barthélemy Kassa, le principal accusé, était un proche du président béninois.
Pressions des bailleurs de fonds
Sous la pression, il a dû démissionner de son poste de ministre de l’eau mais il a réussi à se faire élire député et son immunité parlementaire n’a jamais pu être levée. Néanmoins, estime Jos Van Aggelem, « ce scandale a pu être révélé parce que la question de l’aide au développement était devenue une question cruciale aux Pays-Bas ». Une manière d’indiquer que, sur ces questions, les pressions doivent d’abord être exercées par les bailleurs de fonds eux-mêmes. Les Pays-Bas sont l’un des plus gros contributeurs au Bénin. Entre 2003 et 2014, le royaume a débloqué 120 millions d’euros dans des projets d’aménagement hydraulique.
Aux bailleurs eux-mêmes donc de « faire la police ». L’idée est soutenue par Olivier Frémond, conseiller à la Banque mondiale où il est responsable du département des partenariats publics-privés, également présent lors des débats. « C’est une responsabilité morale quand on connaît le coût de la corruption en Afrique : environ 148 milliards de dollars par an dont 50 milliards de dollars de flux financiers illicites. C’est beaucoup », indique M. Frémond. L’expert de la Banque mondiale a ensuite esquissé quelques idées pour renforcer la lutte contre la fraude et les détournements de l’aide: plus de transparence, un renforcement des institutions et une plus grande implication de la société civile.
« Il faut une vraie révolution des mentalités mais aussi, pour les bailleurs, repenser les mécanismes d’octroi de l’aide de manière à ce qu’elle soit directement gérée par les cibles elles-mêmes », a tempéré Michel Dognon. M. Dognon est l’ancien auditeur général du Bénin, une instance créée en 2015, après le scandale du détournement de l’aide néerlandaise, pour vérifier, enquêter et auditer la gestion des organisations publiques. L’expert s’est appesanti pendant les débats sur les difficultés qui peuvent survenir pour concilier la position des Etats et des bailleurs de fonds dans la lutte contre la fraude.
Nécessaire impunité
En l’occurrence, M. Dognon regrette « l’excès de méfiance et de suspicion des Pays-Bas dans la capacité du gouvernement béninois à réaliser un audit après les révélations du détournement de l’aide ». Or, selon l’expert, la volonté politique y était. Puisque « des sanctions ont été prises ».
Seulement à moitié, a-t-il oublié de dire. Puisque l’ancien ministre de l’énergie et de l’eau n’a jamais été traduit devant la justice. Et les fonctionnaires incriminés, un temps suspendus, ont réintégré l’administration. Les Pays-Bas eux-mêmes ont partiellement repris leur coopération avec le Bénin, en septembre 2015 après l’avoir interrompue quatre mois plus tôt. Ceci, sur la base du vœu que « les autorités béninoises continuent à suivre l’avancement de la procédure judiciaire à l’encontre des personnes impliquées », comme l’indiquait le communiqué du gouvernement néerlandais annonçant cette décision.
Les fraudeurs béninois, eux, courent toujours. L’équipe du nouveau président élu le 6 avril, n’ayant pas encore rouvert le dossier. Impossible de garantir que le scandale de l’année dernière ne se reproduira pas.