« En Chine, beaucoup d’Africains souffrent de racisme »
« En Chine, beaucoup d’Africains souffrent de racisme »
Par Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Hongkong)
Un homme noir balancé dans une lessiveuse et qui ressort transformé en Asiatique. Cette publicité pour une marque de lessive de Shanghai tourne au débat de société : la Chine est-elle raciste ?
Après avoir mis en cause les médias occidentaux pour leur trop grande « susceptibilité » aux questions raciales, l’entreprise à l’origine de cette publicité a dû rétropédaler et présenter des excuses. « Pour le tort causé aux Africains en raison de la propagation de cette publicité et de l’écho qu’elle a trouvé dans les médias, nous présentons nos excuses », a écrit la société chinoise dans un communiqué publié sur le réseau social Weibo.
Une justification un peu courte et publiée en mandarin sur un réseau social lu principalement par les Chinois. L’affaire est devenue le symbole d’une certaine « afrophobie ». « Qui sont-ils ? Que font-ils ? Ils prennent nos femmes. Ils sont peu éduqués. Ils sont sales et violents… Voilà le genre de choses que l’on entend lorsque l’on est Africain en Chine », nous explique la journaliste britannique Nicole Bonnah. Cette jeune femme noire qui vit à Pékin est d’origine afro-caribéenne. « On ne peut pas dire que la Chine est raciste dans son ensemble, mais on constate de plus en plus de pratiques discriminatoires et de brutalités policières. »
« Une afrophobie évidente »
« Bien sûr que le racisme existe en Chine et je sens qu’il se développe », explique Nicole Bonnah. Sur son blog, elle s’insurge contre cette caricature d’homme africain, représenté comme un prédateur sexuel et déshumanisé. « Il n’est rien d’autre qu’une saleté qui doit être lavé pour plus de propreté et de pureté afin d’incarner la beauté véritable. »
« Il y a une afrophobie évidente dans de nombreuses régions du pays », explique la jeune femme qui se demande surtout comment un acteur de couleur a pu se prêter à une telle caricature. Selon nos informations, il s’agit d’un jeune étudiant Nigérian à qui on a proposé une centaine d’euros pour monter dans cette machine à laver. Le malheureux ne savait rien du scénario. Aujourd’hui il a dû quitter la Chine. « Il déprime. Il est attaqué par toute la communauté africaine. Nous disons aux Africains : il ne faut pas participer à ce genre de films ! », nous explique Jilles Djon, directeur de la chambre de commerce africaine à Shanghai.
La pub raciste de la lessive chinoise Qiaobi
Durée : 00:49
« C’est vraiment grave. C’est bien plus que du racisme. Nous voyons que beaucoup d’Africains sont rejetés, ostracisés. Ils ont de plus en plus de mal à trouver des stages ou décrocher un emploi en Chine. Le problème c’est le rapport qu’entretient aujourd’hui la Chine avec l’Afrique. Elle se comporte de plus en plus comme un pays dominateur. »
« Il y a en Chine un racisme décomplexé »
« On est passé du Chinois frère, au Chinois maître », conclut le directeur de la chambre de commerce. « Cette publicité montre une facette négative de la Chine, estime également Frédéric Raillard, cofondateur de l’agence de publicité Fred & Farid installé depuis trois ans à Shanghai. Le rapport au racisme n’est pas le même qu’en Occident. Il y a en Chine un racisme décomplexé. Mais là nous avons surtout à faire à une entreprise qui ne maîtrise pas du tout la communication et la publicité. C’est un travail d’amateur. C’est de la bêtise », explique-t-il.
Une bêtise vue quand même par des millions d’internautes à travers le monde. Si en Chine l’affaire fait relativement peu de bruit, en revanche, les médias occidentaux se sont saisis du dossier.
« L’antiracisme est le grand dada de l’Occident et cette triste affaire est l’occasion de présenter les Chinois comme les méchants et les Occidentaux comme les gentils, explique Frédéric Raillard. L’Occident va saisir cette occasion pour blâmer la Chine. » Ce n’est pourtant pas la première fois que la Chine s’aventure sur ce terrain glissant de la publicité raciste. Dans les années 1990, le dentifrice Darkie a fait polémique avant d’être rebaptisé « Darlie ». Mais il est toujours appelé « le dentifrice de l’homme noir » (黑人牙膏).
« La pornographie de la pauvreté »
« Récemment, on a eu le cas à Canton d’un étudiant africain qui s’est retrouvé menacé par toute la communauté pour s’être prêté à une publicité comme celle de Qiaobi », se souvient le directeur de la chambre de commerce africaine. Il a gagné à peine 40 euros dans l’affaire…
Plus récemment encore, l’Institut Confucius a recruté des étudiants africains à Shanghai pour tourner une publicité là encore au genre douteux afin de lever des fonds pour soi-disant lutter contre la pauvreté en Afrique.
Depuis, le film a été retiré des réseaux sociaux. « J’appelle ça de la pornographie de la pauvreté et les étudiants n’avaient aucune idée de ce qu’ils faisaient », s’insurge Jilles Djon, qui met en garde les étudiants africains qui débarquent chaque année de plus en plus nombreux en Chine : « Ne vous prêtez pas à ce genre d’exercices ! »
Dans ce pays où plus de 90 % des habitants sont d’ethnie han, parler de races n’est pas chose taboue. « C’est même normal, explique un jeune Chinois. Nous n’avons jamais colonisé l’Afrique et nous ne sommes pas responsables de l’esclavage des Africains. »
Mais si les Blancs sont appelés en Chine « Lao wai » (老外), c’est-à-dire « étranger », les Noirs sont appelés « Lao hei » (老黑). Le caractère 黑 signifiant à la fois « noir » et « sale ». Dans certaines régions, ils sont méchamment surnommés « Hei gui » (黑鬼) ce qui signifie « monstre noir » en mandarin.
Le quotidien Global Times, porte-voix traditionnel du Parti communiste, a tenté timidement de justifier l’injustifiable, expliquant que les Chinois n’ont pas les mêmes « références culturelles ». « La sensibilité de nombreux Chinois à ces questions raciales n’est pas la même qu’en Occident. »
Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.