Essai clinique mortel de Rennes : un rapport pointe le manque d’information des volontaires
Essai clinique mortel de Rennes : un rapport pointe le manque d’information des volontaires
Par Paul Benkimoun
L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ne remet pas en cause l’autorisation de l’essai, qui a causé un mort, mais critique les modalités de sa conduite.
« Il n’y a pas lieu de remettre en cause l’autorisation accordée, le protocole BIA 10-2474 ne contrevenant pas à la règlementation ni aux recommandations en vigueur en matière d’essais de première administration à l’homme de produits expérimentaux. » Dans le rapport sur l’accident survenu lors de l’essai clinique de Rennes ayant coûté la vie à un volontaire, que Le Monde s’est procuré, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ne retient donc pas de faute de la part de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Néanmoins, elle estime que « l’économie d’ensemble du protocole et la latitude laissée pour sa mise en œuvre n’offraient pas un cadre suffisant pour la protection des personnes participant à l’essai. »
La mission considère que la responsabilité de Biotrial, centre où a été réalisée l’expérimentation, comme celle de Bial, laboratoire promoteur de l’essai, sont engagées. Elle reproche à Biotrial « trois manquements majeurs » dans la conduite de l’essai et à Bial un « retard à l’information de l’autorité sanitaire » ainsi qu’un choix « insuffisamment précautionneux » de passer à la dose de 50 mg en doses multiples croissantes.
Un manque d’information des volontaires
Première question analysée par les deux inspecteurs, Christine d’Autume et Gilles Duhamel, celle de l’autorisation, accordée le 26 juin 2015 par l’ANSM, de l’essai de la molécule BIA 10-2474. La mission constate que « les données précliniques du dossier d’autorisation complété suite aux demandes de l’ANSM, étaient pertinentes et suffisantes et permettaient l’administration à l’homme. »
Le niveau de risque pressenti avec le BIA 10-2474 aurait-il justifié de refuser l’autorisation de l’essai clinique de Rennes ? Le comité de protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales (CPP, dont l’avis préalable est indispensable à un essai) Ouest VI de Brest et l’ANSM ont tout deux répondu par la négative. Cependant, selon des témoignages et documents cités par Le Figaro et Mediapart, les volontaires participant à l’essai n’ont pas été informés des effets indésirables – neurologiques ou pulmonaires – constatés lors des essais chez l’animal.
Ils n’auraient ainsi pas reçu de Biotrial « une information objective, loyale et compréhensible par le sujet », comme le prévoit la loi, avec la «Lettre d’information et formulaire de consentement des volontaires sains ». Ces documents de Biotrial, visés préalablement par Bial, ont été communiqués au CPP et à l’ANSM avant le début de l’essai. Du côté de l’ANSM, on indique qu’il est fréquent que ces formulaires ne fassent pas référence de manière détaillée aux effets indésirables observés chez l’animal.
Le protocole lui-même n’était pas exempt de reproches, selon l’IGAS. Analysant la phase précédant le premier événement indésirable grave qui a abouti, au décès le 17 janvier de Guillaume Molinet, 49 ans, les deux rapporteurs soulignent qu’il ne constituait pas « un cadre suffisant pour une protection optimale des participants. » De même, ils évoquent « la répartition floue des rôles entre Bial et Biotrial en matière de déclaration des événements indésirables graves et des faits nouveaux [qui] n’étaient pas propices à l’information rapide des autorités. »
Autre point majeur, celui de l’escalade des doses au cours de l’essai. Le rapport rappelle qu’elles « sont admises et les conditions de progression des doses ne contrevenaient pas à la règlementation. » Toutefois, les inspecteurs s’étonnent d’un manque de prudence : « Bial n’a pas jugé nécessaire, compte tenu du niveau de risque qu’il anticipait, de prévoir de précaution particulière pour limiter l’exposition simultanée de plusieurs volontaires au produit. Son appréciation peut susciter la discussion. » Ce d’autant que, lors le passage de la dose de 20 mg à 50 mg, les investigateurs n’avaient pour données que celles de la dose de 10 mg et donc pas d’indication sur le comportement du produit chez les volontaires recevant celle de 20 mg.
La mission IGAS « regrette l’absence d’observations de celle-ci sur les conditions d’escalade de doses. » Il en va de même pour le CPP Ouest VI de Brest. Néanmoins, pour trancher sur l’autorisation accordée par l’ANSM, « au vu des questions qui subsistent, la mission préconise que ce point fasse l’objet d’un nouvel examen dans le cadre d’un comité indépendant d’experts internationaux. »
Les auteurs du rapport en arrivent à poser une question de fond, méritant un « débat public à un niveau international » : celle du « bien-fondé même de l’essai ». Ils s’interrogent sur « la décision d’exposer des volontaires aux risques par définition non totalement prévisibles d’un médicament expérimental » à partir du moment où « la valeur ajoutée potentielle du produit dans l’arsenal thérapeutique pouvait être mise en doute aux yeux de certains experts. » Le protocole du BIA 10-2474 faisait référence à « une panoplie très large de bénéfices thérapeutiques potentiels futurs sans argumenter l’apport spécifique attendu du produit par rapport à d’autres molécules », soulignent les inspecteurs.
Manquements majeurs
Si la conduite de l’essai a été « conforme au protocole », les inspecteurs relèvent « trois manquements majeurs » dans la gestion du premier événement indésirable grave qui engagent la responsabilité de Bial et de Biotrial sur plusieurs points. Le premier « porte sur l’absence de recherche d’information en temps et en heure sur l’évolution de l’état de santé du premier volontaire et la non-suspension corrélative de l’administration du produit aux autres volontaires » du groupe dont il faisait partie.
En effet après l’hospitalisation de M. Molinet, Biotrial « a procédé le lendemain matin, à l’heure habituelle, à l’administration du produit (6e dose) aux autres volontaires de la cohorte, sans s’être informé au préalable de l’évolution de l’état de santé de ce volontaire, hospitalisé depuis plus de 10 heures. » Les deux inspecteurs estiment que le centre expérimentateur « ne s’est pas donné les moyens qui lui auraient permis de décider, en toute connaissance de cause, de la poursuite » de cette administration et qu’ainsi « Biotrial a manqué à son devoir de protection des volontaires ». Ils écartent la responsabilité du CHU de Rennes.
Deuxième manquement majeur de la part de Biotrial, « l’absence de confirmation de leur consentement adressée aux autres volontaires le lundi 11 janvier, avant l’administration du produit », contrairement à ce que prévoyaient la lettre d’information et le formulaire de consentement, remis aux volontaires, en cas de « nouvelle information significative qui pourrait affecter leur volonté de poursuivre l’étude ». Une obligation au regard du code de santé publique.
Troisième manquement majeur, commun à Bial et à Biotrial : le non-respect du devoir d’information sans délai de l’autorité sanitaire compétente. « La règlementation prévoit en effet qu’en cas de fait nouveau de sécurité, le promoteur doit en informer sans délai l’autorité sanitaire ainsi que des mesures prises pour assurer la sécurité des volontaires », rappelle la mission qui « constate que cette information n’a été effectuée que le jeudi 14 janvier », alors que M. Molinet avait été hospitalisé dans la soirée du 10 janvier, après des symptômes neurologiques apparus dans l’après-midi.
L’essai a été suspendu par Biotrial dans la journée du 11 janvier, après l’administration le matin aux volontaires du BIA 10-2474. Après cet arrêt, « Biotrial n’a pas par ailleurs mis en place de suivi renforcé des autres volontaires notamment sur le plan neurologique », précise le rapport.
Etablir de nouveaux référentiels
Dans sa dernière partie, le rapport de l’IGAS insiste sur le fait qu’il « est primordial de comprendre les causes des événements graves survenus et de reconsidérer le cadre de protection des volontaires dans le cadre des essais de première administration à l’homme », comme cela a été le cas après les graves accidents lors d’un essai clinique à Londres en mars 2006. A la suite de ces événements, de nouveaux référentiels avaient été établis en 2007 par l’Agence européenne du médicament.
Parallèlement à l’enquête de l’IGAS, l’investigation judiciaire en cours aura pour tâche d’établir les responsabilités des différents acteurs et les fautes éventuelles qu’ils auraient commises.