Euro 2016 : quand l’Allemagne parle espagnol
Euro 2016 : quand l’Allemagne parle espagnol
Par Les Cahiers du Football
Influencé par le travail de Pep Guardiola au Bayern Munich, le sélectionneur Joachim Löw donne une teinte « espagnole » au jeu de la Mannschaft
Joshua Kimmich le 21 juin face à l’Irlande du Nord | Darren Staples / REUTERS
Par Christophe Kuchly des « Cahiers du Football »
À quoi ressemblera le joueur de demain ? Cette question, qui ferait un très bon sujet de dissertation pour quiconque veut faire un peu de prospective, a peut-être déjà une réponse. Ou deux. Et un point commun : Pep Guardiola.
L’Autrichien David Alaba, qui joue aujourd’hui son avenir dans la compétition contre l’Islande et Joshua Kimmich, qui a terminé premier de sa poule avec l’Allemagne, évoluent tous deux au Bayern Munich, où ils ont été couvés par le Catalan. Un entraîneur sans cesse dans l’expérimentation et qui reste, malgré ses (relatifs) échecs européens, la principale source d’inspiration de ses pairs – qui se construisent pour beaucoup par imitation ou par opposition. La marque de son influence ? Un football de possession qui, pour battre des défenses de mieux en mieux préparées, accélère l’hybridation des postes.
Si l’Europe connaît très bien Alaba, qui a explosé au poste de latéral gauche mais joue régulièrement milieu, défenseur central voire ailier – et même numéro 10, sans trop de réussite, face au Portugal ! –, elle découvre Kimmich. Remplaçant lors des deux premières rencontres de son pays, ce gabarit passe-partout (1,76 m pour 70 kg) a disputé l’intégralité du match contre l’Irlande du Nord en tant que latéral droit, livrant une excellente prestation à un poste auquel il n’a quasiment jamais évolué. Tout ça pour sa deuxième sélection, à seulement 21 ans. Comment est-ce possible ?
Éloge de la polyvalence
Kimmich n’est pas le premier joueur à changer de poste au cours de sa carrière, et l’équipe de France a également eu son lot de reconvertis parmi ses meilleurs éléments (Blanc, Desailly, Makelele…). Mais sa capacité à basculer d’un endroit à l’autre du terrain en si peu de temps marque la dernière évolution du jeu de position et, d’une certaine manière, un retour à ce que faisaient l’Ajax et les Pays-Bas des années 1970, à une époque où l’absence de pressing à la perte du ballon, des blocs distendus et un rythme moins soutenu permettaient encore le « tout le monde attaque puis tout le monde défend » sur cinquante ou soixante mètres. Car contrairement aux partenaires de Johan Cruyff, aidés par des entraînements militaires qui leurs permettaient de dominer aussi sur le plan physique, Kimmich et Alaba font plus courir le ballon qu’ils ne courent eux-mêmes. Quitte à endormir les spectateurs en même temps que l’adversaire.
Au Red Bull Leipzig, dans les divisions inférieures, le jeune allemand était un milieu côté droit chargé de gagner les ballons haut dans une formation au pressing intense rappelant celui des équipes de Jürgen Klopp. Au Bayern, il a d’abord été lancé comme relayeur, sa position en espoirs, avant d’être baladé un peu partout : défenseur central, ailier droit, latéral gauche et donc latéral droit, poste sinistré en sélection depuis la retraite internationale de Philipp Lahm. « Mais l’interprétation est un peu différente ici, le latéral droit est quasiment un milieu de terrain donc ce n’était pas un problème », confiait-il au site de son club après un match de Coupe face à Darmstadt qui marquait ses premiers pas dans le rôle en compétition officielle. La clé se trouve dans cette phrase : l’interprétation du rôle, si singulière qu’elle va à l’encontre des schémas classiques du défenseur qui défend et déborde, avec une inclinaison particulière pour l’un ou l’autre selon les profils. Au Bayern, un latéral se confond avec un milieu relayeur.
Géométrie du terrain
Comme Vicente Del Bosque, Joachim Löw se repose en grande partie sur le travail de son champion national. Pendants du Bayern et du Barça, deux équipes qui confisquent la balle à chaque match, l’Allemagne et l’Espagne ne se posent généralement pas la question de l’adversaire : elles espèrent simplement que leur plan de jeu permettra de battre une défense regroupée.
Pour cela, il faut introduire des éléments de surprise en multipliant les appels un peu partout sur le terrain et en échangeant les positions sur le terrain, tout en restant placé très haut. Et puisque défendre concerne tout le monde – un autre parallèle moderne avec le totaalvoetbal néerlandais – et consiste majoritairement à essayer de reprendre le ballon dès qu’on l’a perdu, ce qui demande avant tout une bonne lecture du jeu, on peut devenir défenseur sans être grand et costaud ni savoir tacler.
Face à l’Irlande du Nord, Joshua Kimmich a disputé seize duels, taclé une fois et n’a pas effectué une seule interception. Pas besoin quand votre équipe domine autant. « Évoluer à plusieurs postes est un énorme avantage, a-t-il assuré après la partie. Cela aide car vous pouvez voir le jeu sous différents angles. » Et ainsi toujours être dans la meilleure position pour l’équipe.
Mario Gomez et Jerome Boateng. | John Sibley / REUTERS
En le titularisant à la place de Benedikt Höwedes, joueur de devoir plus à l’aise dans l’axe, et en intégrant Mario Gomez comme point de fixation en attaque, Joachim Löw va au bout de son mimétisme philosophique avec le Guardiola bavarois. Les mécanismes changent légèrement (débordements des latéraux, ailiers qui se recentrent et jeu plus direct dans l’axe via Mesut Özil) mais l’idée reste la même : tout le monde doit être capable de faire une ouverture millimétrée et un contrôle en pleine course. Même les défenseurs centraux, Mats Hummels et Jérôme Boateng, qui, comme l’Italien Bonucci, ont une technique de meneur de jeu. Loin de sa vieille image pragmatique, l’Allemagne embrasse ainsi définitivement un jeu offensif via des profils de joueurs techniques qui n’auraient peut-être pas émergé il y a quinze ans.
Que le sélectionneur maintienne ou non sa confiance en son gamin, cela promet en tout cas un affrontement passionnant en quart de finale. S’ils se qualifiaient, les Allemands joueraient en effet leur cousin de jeu espagnol ou des Italiens qui ont choisi le chemin inverse, avec une rigueur imposée par le manque de fuoriclasse. Au-delà du résultat brut, ce sont peut-être bien ces rencontres qui montreront la voie à suivre aux entraîneurs et contribueront à façonner le futur du football. Un futur où la définition de plus en plus poreuse des postes ferait de la polyvalence une nécessité.
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