Fête de la musique : un maire FN veut imposer une « clause de neutralité politique » aux artistes
Fête de la musique : un maire FN veut imposer une « clause de neutralité politique » aux artistes
Par Blandine Garot
Pour éviter que l’événement ne tourne à la tribune anti-FN, le maire Franck Briffaut demande aux musiciens participants de signer une clause qui fait polémique.
Franck Briffaut (FN) a été élu à la tête de Villers-Cotterêts (Aisne) en mars 2014. | CYRIL BITTON/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
Au début du mois de juin, quinze jours à peine avant la Fête de la musique, le groupe Gabriel Saglio et les Vieilles Pies apprend qu’ils ne joueront pas à Villers-Cotterêts (Aisne). La raison ? Leur refus de signer une « clause de neutralité politique » imposée au groupe par le maire Front national Franck Briffaut pour le concert du 21 juin.
« En 500 dates, c’est la première fois que je vois apparaître dans un contrat d’artiste une telle demande », assure le leader du groupe breton Gabriel Saglio. En avril, le producteur et le groupe sont contactés par le service culturel de la municipalité pour venir jouer le soir de la Fête de la musique. L’invitation est acceptée, puis validée côté mairie par mail. Jusque-là, rien d’anormal dans la procédure.
Trois semaines passent, le producteur Nicolas Son se charge de rédiger le contrat. Lorsque le service culturel lui demande « d’ajouter l’article suivant » : « Les artistes s’engagent, dans le cadre de leur prestation artistique, à respecter le principe de neutralité politique. À défaut, la prestation ne sera pas rémunérée ». Interloqué, Gabriel Saglio ne comprend pas. A la suite de cette demande « bien particulière des élus », il se renseigne et découvre que Villers-Cotterêts est l’une des 14 villes tenues par le Front national depuis 2014.
« Notre musique est engagée, certes, mais la mairie le sait puisque c’est elle qui nous a choisis », explique-t-il. Le groupe ne se singularise pas par un positionnement politique mais davantage par un mélange des cultures musicales en utilisant des instruments venus du monde entier (clarinette juive, flûte pygmée camerounaise, chœurs maliens…). « Pour nous, c’était une merveilleuse occasion de jouer là-bas », souligne le chanteur. Toutefois, il est hors de question pour le groupe et le producteur de signer un contrat incluant une telle clause. Le groupe est donc déprogrammé. Quinze jours avant le concert, il ne peut se retourner et trouver une autre ville où jouer.
« Trois motifs d’illégalité »
À la place, la mairie invite deux autres groupes, Les Petites Bourrettes et The Sunvizors, tout en leur soumettant également cette clause de « neutralité politique ». Les deux formations refusent également de la signer. « Cela va à l’encontre de la liberté d’expression », déplore Jérémie Boulon, le manager des Petites Bourrettes, un groupe qu’il décrit comme « ni militant, ni politique ».
« Cette procédure est normale. On ne veut plus revivre la même situation que l’année dernière où un chanteur [le groupe Les Blérots de Ravel] profite de la scène mise à sa disposition pour tenir une tribune politique anti-FN », se justifie Franck Briffaut, qui a préféré se prémunir cette année de tout débordement en imposant cette mesure dont « la formulation a été validée par un avocat ».
Pourtant selon Me Jean Vincent, spécialiste du droit de la propriété littéraire et artistique et du droit du travail, « il y a trois motifs d’illégalité dans cette clause : elle viole le code du travail car un CDD dit “d’usage” spécifique au secteur du spectacle ne peut être rompu que pour une faute grave. Or, exprimer une opinion politique ne peut certainement pas constituer une faute grave. Elle viole également le code du travail en raison du fait que les sanctions financières sont interdites contre les salariés. Enfin, cette clause viole le droit à la liberté d’expression résultant notamment de la Cour européenne des droits de l’homme ». Se révélant ainsi juridiquement nulle, « signer cette clause serait sans effet » pour les artistes, précise l’avocat au barreau des Hauts-de-Seine.
Déprogrammations
Face à la polémique, le maire a finalement convié le groupe Gabriel Saglio et les Vieilles Pies à venir jouer mais pour la Fête de la musique de l’année prochaine. Échaudé, le chanteur a répondu par la négative à l’invitation « de peur d’être une nouvelle fois déprogrammé », d’autant plus qu’il avait déjà engagé des frais pour se rendre dans l’Aisne. Par ailleurs, le groupe The Sunvizors a annoncé, jeudi, qu’il ne participerait finalement pas à l’événement, « souhaitant se protéger de toutes polémiques autour de cette fête qui devait rassembler et non diviser » explique le tourneur du groupe, Samuel Dubois.
« Rassurez-vous, la fête aura bien lieu », indique Franck Briffaut, qui ne voit dans sa démarche aucune volonté de censure. Pourtant, le maire est connu pour avoir déjà déprogrammé en 2014 un groupe de rock, Jagas, qu’il jugeait non conforme à l’image de Villers-Cotterêts et pour avoir retiré en 2015 une œuvre sur la montée de l’extrême droite lors d’une exposition à la médiathèque de la ville.