Grégory Ponthière : « Considérer la vie comme une ressource rare »
Grégory Ponthière : « Considérer la vie comme une ressource rare »
LE MONDE ECONOMIE
Nominé, 37 ans, le professeur à l’université Paris-Est Créteil et chercheur à l’Ecole d’économie de Paris mesure l’impact de la mort dans l’économie.
Grégory Ponthière. | DR
On attend plutôt d’un philosophe, d’un sociologue, d’un historien qu’il s’intéresse à la mort. C’est pourtant votre sujet d’étude ?
Oui, en effet, dans la mesure où l’objet premier de l’économie est la rareté des ressources. Les économistes analysent donc en général l’offre et la demande de biens et de services. Moi, j’ai voulu considérer les années de vie comme une ressource rare, et je me suis ainsi intéressé à la production et la répartition de cette ressource.
Depuis Malthus, on sait que les personnes les moins riches sont celles qui vivent le moins longtemps, et inversement. C’est toujours vrai aujourd’hui. Classiquement, on mesure la pauvreté dans un pays en rapportant le nombre de ceux qui sont sous le seuil de pauvreté à celui de ceux qui le dépassent. Mais ce taux est ainsi sous-estimé, puisqu’on ne compte pas les pauvres… qui sont décédés prématurément !
Cela a-t-il un sens de comptabiliser des personnes déjà décédées ?
Prenons un exemple. Le taux de pauvreté au-delà de 60 ans est plus bas en Estonie qu’au Portugal. On pourrait en conclure que la politique sociale estonienne est plus efficace. Mais par ailleurs, l’écart d’espérance de vie à 60 ans entre les plus riches et les plus pauvres est de deux ans au Portugal… et de dix ans en Estonie. Autrement dit, il y a moins de vieux pauvres en Estonie parce qu’ils vivent moins longtemps !
Autre exemple, le calcul du produit intérieur brut inclut les dépenses de santé mais ne comptabilise pas les véritables gains d’une augmentation de la longévité. Or, les études empiriques montrent que les personnes valorisent à un très haut niveau les années de vie gagnées, par eux-mêmes comme par leurs proches. Le PIB néglige ainsi une dimension à laquelle chacun de nous attache pourtant une énorme valeur. S’intéresser à la mort, c’est s’occuper en fait de la vie.
Vous vous êtes aussi penché sur les effets économiques du calendrier des naissances ?
L’âge moyen à la naissance du premier enfant s’est élevé depuis quatre décennies, il est maintenant de 28 ans. Il y a deux raisons : la bonne nouvelle, c’est l’allongement des études ; la mauvaise, c’est l’augmentation de la précarité des jeunes : il y a un lien direct entre le statut du contrat de travail et la première naissance. Là encore, on ne peut séparer la démographie des politiques économiques.
Pourquoi vous êtes-vous attaché à ces sujets ?
Au lycée, j’étais un passionné d’histoire mais j’ai pris conscience de l’importance de l’économie dans l’évolution des sociétés. A l’université de Liège, j’ai eu la chance d’avoir pour professeur Pierre Pestieau, l’un des fondateurs du Journal of Population Economics, qui a encadré mes premiers travaux de recherche. Sur ses conseils, j’ai poursuivi mes études à Cambridge, où j’ai écrit ma thèse sur la prise en compte des variations de longévité dans le PIB. Une autre rencontre déterminante a été celle de Marc Fleurbaey, pionnier de l’économie de la justice, qui m’a proposé de travailler sur la compensation des « short lived people », « les gens à courte vie » – il n’y a même pas de traduction française pour cela !