Château Marsyas dans la plaine de la Bekaa au Liban. Propriété de la famille Johnny R. Saadé. | Stephane LAGOUTTE/MYOP

De moins d’une dizaine de producteurs en 2000, le vignoble libanais est passé aujourd’hui à plus d’une quarantaine de domaines, signe de renouveau. Mais beaucoup reste à faire, estiment les frères Saadé, qui ont créé, au milieu des années 2000, le Château Marsyas, dans la plaine de la Bekaa. « Trop de producteurs ne produisent pas leur raisin et se contentent de l’acheter, sans le préciser sur l’étiquette, proteste Sandro, le plus jeune des frères. Il faut aller vers une appellation d’origine contrôlée, pour tirer vers le haut la production. » Pour lui, le vignoble libanais doit se prévaloir d’une qualité irréprochable. « Au total, le Liban doit produire quelque 9 millions de bouteilles, soit l’équivalent d’un seul producteur turc, il faut nous distinguer », insiste-t-il. Le Liban compte aujourd’hui entre 2 000 et 2 500 hectares de vignes, dont 90 % se situent dans la plaine de la Bekaa. Soit un petit vignoble pour un pays qui a vu naître le vin.

Pépins de raisin vieux de 10 000 ans

La ville de Byblos, dont le splendide site archéologique domine la mer, témoigne de ce riche passé. Là, vers 3 000 ans avant J.-C., les Phéniciens faisaient commerce du vin, grâce à leur puissante flotte qui l’emportait jusqu’en Europe. Le temple romain dédié à Bacchus, dans la cité de Baalbek, au nord de la plaine de la Bekaa, illustre aussi cette histoire viticole. Et Hugh Johnson, dans son érudite Histoire mondiale du vin (Hachette, 1989), relate des fouilles révélant, à Byblos, des pépins de raisin vieux de 10 000 ans, datant du néolithique.

Château Ksara, le plus ancien vignoble du Liban en activité, remonte à la moitié du XIXsiècle. Au cœur de la Bekaa, au sud de la ville de Zahlé, en 1857, les Pères jésuites achetèrent 25 hectares de terres et firent du vin. Avec l’autorisation des occupants turcs d’alors, qui permirent une production destinée aux rituels religieux. De fait, les Ottomans fermaient les yeux sur la consommation d’alcool, en particulier l’arak, la boisson anisée similaire au raki turc, ainsi que le raconte Michael Karam dans un livre sur le Château Ksara, publié en 2007 pour les 150 ans du domaine.

Aujourd’hui, le touriste amateur de vins ne peut ignorer Ksara, poids lourd du vignoble libanais avec 2,8 millions de cols sur une production nationale annuelle estimée à 8,5 millions. Six zones de plantation, 440 hectares au total, fournissent le château. Le domaine, dirigé par Zafer Chaoui, président depuis 2013 de l’Union vinicole du Liban, produit ou achète ses raisins, d’une vingtaine de cépages différents, une nécessité pour alimenter l’imposante machine, 1 200 barriques, 150 cuves en Inox…

« Dans les situations difficiles que connaît notre pays, la seule solution est de persévérer » Diane Salamé, œnologue, Domaine Wardy (Zahlé, Liban)

Dans les souterrains du domaine Ksara, deux kilomètres de galeries datant de l’époque romaine découvertes par hasard en 1898, James Palgé, œnologue de la maison depuis vingt-deux ans – il officiait avant au Prieuré-Lichine, grand cru classé de margaux – montre des bouteilles remontant à 1918. « Mais les plus vieilles que l’on peut encore consommer sont des années 1960 », confie-t-il. Château Ksara propose une vingtaine de vins, sans oublier le ksarak, l’arak de la maison, une distillation d’alcool de raisins mélangé à l’anis vert frais, provenant d’Hineh, un village de la région du mont Hermon, à la frontière entre la Syrie et le Liban, « le meilleur du monde », affirme George ­Khalil Sara, le directeur commercial.

Plus petit, avec 55 hectares de vignes, situé à Zahlé, le Domaine Wardy, dont la création remonte à 1891 – produisant seulement de l’arak jusque dans les années 1980 –, propose aussi une palette complète. L’œnologue Diana Salamé y célèbre, depuis 2002, avec brio, la notion de terroir, cultivant des cépages français (cabernet, merlot, viognier, muscat, syrah) et locaux (obeïdeh). « Dans les situations difficiles que connaît notre pays, la seule solution est de persévérer », affirme la jeune femme.

Autre locomotive du vin au Liban et adepte, comme Ksara, de l’œnotourisme – parcs ombragés, restaurants… –, Château Kefraya, 320 hectares au pied du mont Barouk, plus au sud dans la plaine de la Bekaa, vendait ses raisins depuis 1951, mais n’a produit ses premiers vins qu’en 1979. Appelé par le propriétaire, Michel de Bustros (87 ans aujourd’hui), ­Fabrice Guiberteau, venu de Charente où il produit ­pineau et cognac, a rejoint le domaine en plein conflit israélo-libanais en août 2006. « Je suis arrivé en voiture depuis Damas, parce que le tarmac de Beyrouth venait d’être bombardé, les démineurs étaient dans la parcelle juste au-dessous du chai », se souvient-il. Adepte de vinifications parcellaires en microterroirs, Fabrice Guiberteau travaille soigneusement les assemblages pour composer une gamme complète, en blanc, rosé et rouge. « Je suis un djihadiste des terroirs, un terroiriste ! », plaisante-t-il.