Le juge constitutionnel allemand donne son feu vert au programme anti-crise de la BCE
Le juge constitutionnel allemand donne son feu vert au programme anti-crise de la BCE
Par Marie Charrel
Mardi 21 juin, le Tribunal constitutionnel allemand de Karlsruhe a estimé que l’OMT, ce programme de rachat de dette publique de l’institution de Francfort, n’est pas contraire à la constitution allemande.
Les juges du Tribunal consitutionnel allemand de Karlsruhe, le 15 mars | ULI DECK / AFP
L’affaire est enfin tranchée. Après des années de débats et rebondissements, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a rendu, mardi 21 juin, son jugement final sur les « opérations monétaires sur titres » (OMT), ce programme qui permet, en théorie, à la Banque centrale européenne (BCE) de racheter des obligations d’Etat de façon illimitée.
Dans le détail, les seize juges allemands devaient déterminer si celui-ci est conforme à la Constitution du pays. Ils estiment que c’est bien le cas, tout en émettant néanmoins quelques conditions.
« Le programme OMT n’outrepasse pas les compétences attribuées à la BCE », explique un communiqué publié sur le site de l’institution. « De plus, s’il est interprété conformément au jugement de la Cour de justice européenne, il ne présente pas de menace constitutionnellement pertinente au regard du droit du Parlement allemand à se prononcer sur le budget. »
Alors que la BCE est sous le feu des critiques allemandes depuis plusieurs mois, et à deux jours du référendum britannique sur le maintien (ou non) dans l’Union européenne, ce jugement était très attendu par les observateurs.
Qu’est-ce que la Cour de Karlsruhe ?
Le Tribunal constitutionnel fédéral a été créé en 1951. Il siège à Karlsruhe, dans le Bade-Wurtemberg. La mission de ses seize juges est de vérifier la conformité des lois avec la Loi fondamentale de 1949 – l’équivalent de notre Constitution.
La Cour fut créée pour que le pays ne repasse pas par les expériences traumatiques vécues entre 1930 et 1945. Son rôle est, en somme, de limiter le pouvoir des politiques, afin d’éviter que ceux-ci ne soient tentés de violer la Constitution.
« Depuis 1945, les Allemands estiment qu’il est indispensable qu’un contre-pouvoir contrôle le gouvernement, afin de s’assurer qu’il n’outrepasse pas son mandat », résume Charles Wyplosz, de l’Institut des hautes études internationales de Genève.
Puissante et très respectée outre-Rhin, la cour de Karlsruhe émet des jugements à forte valeur politique. Elle peut ainsi invalider les textes législatifs adoptés par le Parlement si elle juge qu’ils transgressent la Loi fondamentale. N’importe quel citoyen allemand peut y déposer un « recours constitutionnel » s’il estime que l’un de ses droits est violé par une autorité publique.
Pourquoi la justice constitutionnelle allemande s’est-elle penchée sur le programme de la BCE ?
En 2013, un groupe de particuliers et un ancien député eurosceptique ont saisi la Cour de Karlsruhe. Selon eux, l’OMT permettrait à la BCE de financer directement les Etats, au risque que les contribuables allemands paient la facture finale. En outre, estiment-ils, ce programme conduirait l’institution à se mêler de la politique économique des Etats. L’une des conditions au déclenchement de l’OMT est, en effet, que les pays attaqués par les spéculateurs aient d’abord sollicité un prêt du Mécanisme européen de stabilité (MES). Or ce prêt est obligatoirement accompagné de réformes structurelles.
Avant de trancher définitivement sur le sujet, la Cour constitutionnelle a demandé, en janvier 2014, à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de se prononcer, puisque la BCE relève du droit communautaire. En juin 2015, La CJUE a donné son feu vert à M. Draghi. Elle a estimé que l’OMT était bien un programme strictement monétaire, conforme aux traités européens.
Le 21 juin, la Cour de Karlsruhe a tranché à son tour : au soulagement des marchés et des observateurs, elle s’est rangée à l’avis de la CJUE.
Quelles conséquences pour la BCE ?
En théorie, la Banque centrale européenne ne risquait pas grand-chose, puisque l’OMT est toujours théorique. Les experts redoutaient néanmoins qu’un jugement négatif ne nuise à la crédibilité de l’assouplissement quantitatif (« quantitative easing » en anglais, ou QE), l’autre programme de rachats de dettes de la BCE, où, contrairement à l’OMT, les volumes sont limités. Ce qui aurait été ennuyeux. Car, en cas de « Brexit », un tel pare-feu s’avérerait indispensable pour éviter une nouvelle flambée des taux souverains…
La Cour a évité cet écueil en donnant son feu vert : la banque centrale allemande, la Bundesbank, pourra bien participer à l’OMT si la BCE décide de l’activer. Les juges ont tout de même placé quelques conditions, déjà émises par la CJUE : le montant des achats ne devra pas être annoncé à l’avance, par exemple, et le recours à ce programme devra rester exceptionnel.
Quelles sont les prochaines étapes ?
La BCE n’en a malheureusement pas terminé avec Karlsruhe. En 2015, celle-ci a également reçu d’autres plaintes, cette fois, concernant le QE. Ces dernières émanent de chefs d’entreprises allemands et d’universitaire qui accusent, là encore, la BCE d’outrepasser son mandat en rachetant des dettes. Le tribunal constitutionnel se prononcera dans les mois à venir sur le sujet.
Ces plaintes à répétition tombent plutôt mal pour l’institut monétaire, dont la politique est violemment critiquée par une partie de la classe politique et économique allemande. Celle-ci estime notamment que ses taux bas pénalisent injustement les épargnants, tout en risquant de favoriser la création d’une bulle financière.