Le Mozambique, future « pile électrique » de l’Afrique ?
Le Mozambique, future « pile électrique » de l’Afrique ?
Par Adrien Barbier (contributeur Le Monde Afrique, Chimoio, envoyé spécial)
L’ambition du premier producteur d’électricité d’Afrique australe est conditionnée aux investissements étrangers, qui ont fondu depuis le scandale de la dette cachée.
Le fleuve Zambèze, dans la province de Tete, en aval du barrage de Cahora-Bassa. | Goran Tomasevic/REUTERS
« Entre le gaz, l’hydraulique, le charbon, le solaire, on a le plus grand potentiel énergétique d’Afrique ! » Sur la nappe d’un restaurant de Chimoio, dans l’ouest du Mozambique, Isaias Rabeca égrène tous les projets de génération électrique à venir. Barrages, centrales thermiques ou à gaz, fermes solaires, éoliennes : il y en a pour tous les goûts. Ne manquent plus que les financements, plus difficilement mobilisables pour un pays empêtré dans un scandale sur sa dette cachée.
L’administrateur exécutif d’Electricidade de Moçambique (EDM), la compagnie d’Etat, ne fait pas dans l’exagération. Il sort de son attaché-case une étude du cabinet McKinsey & Company, publiée en février 2015. « L’Afrique subsaharienne a un potentiel de génération électrique incroyablement riche », peut-on y lire. Le Mozambique y figure en tête de peloton, grâce aux immenses réserves de gaz découvertes dans le nord depuis 2010. D’après les estimations, le début de l’exportation, prévu à l’horizon 2020, devrait propulser le pays dans le trio de tête des pays producteurs, avec le Qatar et l’Australie.
Le barrage de Mphanda Nkuwa contesté
Pour l’instant, les projets d’énergie les plus ambitieux sont hydroélectriques. « Pour le seul fleuve Zambèze, le potentiel est de 6 000 mégawatts (MW), soit sept fois la consommation actuelle du Mozambique », affirme M. Rabeca. Le gouvernement compte y construire cinq barrages. Situé à 60 km en aval du gigantesque site de Cahora Bassa, le projet de Mphanda Nkuwa est ainsi dans les tuyaux du gouvernement depuis deux décennies. Les premières études de faisabilité remontent à 2002 et prévoient une capacité de 1 500 MW. Le gouvernement a signé en 2010 un contrat de concession, dont 40 % est attribué au brésilien Camargo Correa. Parmi les constructeurs, EDF serait intéressé.
Mais, depuis, le projet a rencontré une vive opposition des groupes écologistes. En avril 2014, une lettre ouverte de plusieurs organisations adressées à Henri Proglio, alors PDG d’EDF, a même demandé au groupe français de se retirer. La construction impliquerait le déplacement de plusieurs milliers de personnes pour un très faible bénéfice aux populations locales. L’impact du changement de flux du fleuve en aval serait notamment dévastateur pour les agriculteurs.
Enfin, l’implication du président d’alors, Armando Guebuza, suspecté de faire les yeux doux à la Chine comme potentiel constructeur, et à l’Afrique du Sud en potentiel acheteur, a achevé de laisser le projet en suspens, jusqu’à récemment. « Nous avons repris la phase d’étude. Mais, pour l’instant, ni constructeur ni financements n’ont été définis, se défend M. Rabeca. Les projections les plus optimistes pointent vers une livraison de l’ouvrage en 2027. »
En attendant un feu vert définitif, EDM regarde de plus en plus vers les énergies fossiles. Deux centrales à gaz ont été inaugurées en 2014 et 2016 dans la région de Maputo, la capitale, et deux autres sont en construction. Celles-ci s’approvisionnent aux champs gaziers de Pande et Temane (centre) qui opèrent depuis 2004. Mais c’est surtout le gaz issu du bassin du fleuve Rovuma (nord) qui devrait changer la donne. « Des projets de gazoducs pour alimenter Pemba [nord], Beira [centre] et Maputo sont en discussion, avec à la clé trois centrales pour un total de 4 000 MW », indique l’administrateur.
Le charbon n’est pas en reste. « Nous avons tellement de charbon thermique qui n’est pas exploité et n’a pas de valeur à l’étranger », détaille Isaias Rabeca. Dans la province houillère de Tete (ouest), plusieurs centrales sont envisagées, et suscite l’intérêt de la Zambie voisine. Le président Edgar Lungu était à ce propos en visite au Mozambique en mars pour lancer la construction d’une centrale de 1 200 MW, presque exclusivement destinée au marché zambien.
Rénover un réseau électrique vétuste
La majorité de ces projets est en effet destinée à l’export, et non sans raison : « Nous souhaitons nous transformer en pôle de génération d’énergie pour toute l’Afrique australe », affirme M. Rabeca. Historiquement, le Mozambique s’est développé grâce à sa façade maritime et aux multiples corridors qui servent de passage vers le Zimbabwe, la Zambie, et le Malawi, complètement enclavés. Le pays entend s’appuyer sur ces liens bien établis pour desservir toute la sous-région, alors qu’il est déjà le deuxième producteur d’électricité d’Afrique australe.
Mais pour rendre cette ambition viable, le Mozambique doit encore investir massivement dans son réseau électrique, particulièrement vétuste. Un projet de lignes à très haute tension, dénommé Epine dorsale, est ainsi associé au barrage de Mphanda Nkuwa. Il doit relier l’Ouest, riche en énergie, au Sud, le cœur économique du pays. « Seul ce projet de ligne de transmission peut viabiliser toutes ces centrales. Sinon, elles n’ont nulle part où transmettre l’électricité produite », explique l’administrateur. Marqueur d’un modèle de développement tourné vers l’exportation, il n’existe à ce jour aucune ligne reliant les deux parties du pays.
Affiché à 3 milliards de dollars (2,66 milliards d’euros), le coût total de l’ensemble n’est pas des moindres. Or les marges de financement du Mozambique ont plus que fondu ces dernières semaines, après que le gouvernement a admis avoir dissimulé 1,4 milliard de dollars d’emprunts depuis 2013, souscrits par des entreprises à capitaux publics pour financer de l’armement. Le scandale a pulvérisé la crédibilité du pays auprès des bailleurs de fonds occidentaux, qui ont, les uns après les autres, depuis la mi-avril, suspendu leurs aides.
« Il va y avoir un creux de la vague, beaucoup de projets vont être mis en attente, analyse Virginie Dago, la directrice au Mozambique de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique). Le gouvernement va avoir beaucoup plus de difficultés à faire de lourds investissements en infrastructures et va clairement devoir se montrer plus sélectif. »
L’AFD, qui a ouvert ses portes à Maputo en 1985 et a depuis prêté ou donné plus d’un milliard d’euros au Mozambique, n’octroie déjà plus de prêts directement à l’Etat mozambicain ou aux entreprises publiques depuis deux ans. « Nous suivons une directive du ministère [français] des finances, qui nous empêche de prêter à un pays classé à haut risque d’endettement par le FMI, ce qui est le cas du Mozambique depuis juin 2013 », explique la directrice.
Depuis cette date, les sommes accordées par la coopération française ont fondu. Aucun prêt n’a ainsi pu être engagé en 2015 et 2016. L’agence reste néanmoins intéressée par les projets liés aux énergies renouvelables. « Nous réfléchissons à des manières de structurer les montages financiers pour que la dette d’EDM ne s’en trouve pas alourdie », précise la directrice.
La Chine sur les rangs du financement
Car, en parallèle, EDM est asphyxiée financièrement. « L’entreprise est techniquement en faillite, concède l’administrateur Isaias Rabeca. L’électricité au Mozambique est subventionnée : notre prix de vente est moins élevé que le coût auquel nous l’achetons. » Le prix de l’électricité est fixé par le gouvernement, qui rechigne à l’augmenter par crainte d’une explosion sociale. Et parce que l’entreprise doit racheter l’électricité en Afrique du Sud au prix fort, les pertes annuelles avoisinent des dizaines de millions de dollars, comme le montre un rapport de décembre 2014 du Centre d’intégrité publique, un cercle de réflexion basé à Maputo.
Dans un compte rendu au vitriol, celui-ci pointe une gestion « politique et non transparente ». « EDM est instrumentalisée par le pouvoir politique qui pratique des cadeaux à certaines entreprises, ce qui affecte négativement sa soutenabilité financière et sa capacité à réaliser des investissements de manutention et de modernisation », peut-on y lire.
Face au lâchage des pays occidentaux, Maputo serait-il tenté de se tourner vers Pékin, où le président Nyusi est arrivé, lundi 16 mai, en compagnie d’une forte délégation de ministres et d’entrepreneurs ? Alors que la presse mozambicaine se gausse d’une visite programmée après que le scandale de la dette cachée a éclaté, les économistes rappellent déjà les conditions attachées aux emprunts chinois, qui profitent d’abord et avant tout aux entreprises chinoises.
EDF, Vinci : on ne peut s’empêcher de constater que les projets financés par l’AFD font aussi appel à des entreprises françaises. « Au titre de la diplomatie économique, on s’engage à travailler en bonne intelligence avec les entreprises françaises et à mettre en valeur l’expertise française, argumente la directrice de l’AFD. Mais il s’agit uniquement d’un travail d’information, on veille à les informer le plus tôt possible des projets qui se préparent. » L’administrateur d’EDM, lui, voit la différence : « Les financements indiens ou chinois peuvent paraître plus simples à obtenir et moins chers, mais la qualité n’est clairement pas la même. Et, pour un barrage, il vaut mieux que ça tienne. »