Lors de l’inauguration de la fan-zone du Champ-de-Mars, le 9 juin, à la veille de l’ouverture de l’ Euro 2016 de football. | ALAIN JOCARD / AFP

De retour d’un court déplacement à l’étranger, ponctué de sollicitations médiatiques. Tout le monde veut parler de l’Euro, des grèves, des manifestations. Comme dans les médias français, beaucoup d’observateurs font la comparaison avec la grève d’Air France et la morosité ambiante en amont du Mondial 1998.

Pourtant, il y a une grosse différence qui saute aux yeux quand on consulte les archives de 1998. A l’époque, la France irritait, agaçait, énervait. Les Anglophones, toujours disposés au French bashing, s’en donnaient à cœur joie contre la soi-disant incompétence du comité d’organisation ; les Allemands soupiraient d’incompréhension.

Mais en juin 2016, la France n’agace même plus. C’est bien pire : elle fait pitié. La preuve : on souhaite même la victoire des Bleus, rien que pour que les Français aient un moment de répit et éprouvent un peu de bonheur.

Compassion

Petit florilège des questions qui m’ont été adressées ces derniers jours :
- L’Euro aura-t-il lieu dans un pays totalement paralysé par ses tensions sociales ?
- L’affaire Benzema révèle-t-elle que la société française est profondément raciste ?
- La menace terroriste et l’obsession sécuritaire risquent-elles de ternir ces moments de fraternisation joyeuse qui font tout le charme d’un tel événement ?

On s’efforce de répondre « Mais non ! » à chacune de ces questions, mais le cœur n’y est qu’à moitié.

En 1998, la France irritait, agaçait, énervait. En juin 2016, c’est bien pire : elle fait pitié

Peu importe la réponse qu’on donne, on aurait bien tort de prendre ces interrogations inquiètes pour de la condescendance. Au contraire : la manière dont débute l’Euro et l’environnement dans lequel il risque de se dérouler suscitent de la compassion au meilleur sens du terme. Sans avoir nécessairement toutes les clés pour comprendre à quel point le régime présidentiel de la Ve République est devenu une camisole pour la société française, les interlocuteurs lui souhaitent sincèrement de s’en sortir. Et si le football peut l’aider un peu, tant mieux. Qu’ils gagnent l’Euro, si ça leur met un peu de baume au cœur !

Le football ne résoudra pourtant jamais les problèmes d’une société. Comme l’a montré la recherche en sciences sociales, c’est un formidable révélateur, mais pas davantage. Certes, une équipe nationale a la capacité de mettre en relief des désirs profonds d’un vivre-ensemble plus harmonieux. Un grand tournoi international accueilli chez soi peut-être une parenthèse très gratifiante, voire même enchantée. Et une grande réussite dans une activité ludique et physique appréciée par une grande partie de l’humanité, cela peut effectivement redonner de la confiance en soi.

Attentes démesurées

Il n’en reste pas moins qu’on a désormais tendance à trop en demander au football. En 1998, on n’en attendait pas grand-chose, on n’en parlait pas tant, et il donna beaucoup. Aujourd’hui, les attentes sont presque aussi démesurées que la place qu’on lui attribue dans le brouhaha incessant des canaux d’information démultipliés.

Il est vrai que le football a toujours été chargé de symboles et de significations. A juste titre, car il dit beaucoup sur l’idée qu’une société se fait d’elle-même et des autres. Mais afin de pouvoir bénéficier de son potentiel révélateur, mieux vaut ne pas le surcharger. Pour donner l’exemple, cette chronique s’efforcera à ne pas céder à la tentation de la surinterprétation.
Ce ne sera pas facile. Rien que dans la perception entre les nations, le football joue un rôle plus important qu’il ne devrait avoir.

Du coup, on se met à espérer que cet Euro sera effectivement l’occasion d’inspirer autre chose à nos voisins que de la peine. Pourquoi pas, le 10 juillet au soir, un brin d’admiration ?