Loi travail : « La fracture se creuse entre le gouvernement et sa majorité »
Loi travail : « La fracture se creuse entre le gouvernement et sa majorité »
A quoi joue la majorité sur la loi travail ? Nicolas Chapuis du service politique du « Monde » répond à vos questions sur les divisions au sein de la gauche.
Manuel Valls et Stéphane Le Foll lors de la séance de questions au gouvernement, mercredi, à l’Assemblée nationale. | PATRICK KOVARIK / AFP
Les internautes ont posé leurs questions sur la loi travail lors d’un chat sur Le Monde.fr, mercredi 25 mai, à Nicolas Chapuis, journaliste politique au Monde, spécialiste du Parti socialiste. Retranscription de cet échange.
La fracture s’est un peu plus creusée, le 25 mai, entre le gouvernement et sa majorité à l’Assemblée nationale. Les déclarations de parlementaires socialistes qui se sont dits prêts à étudier une réécriture du texte de la loi travail, immédiatement balayées par le gouvernement, ont montré combien le bras de fer se durcit au sujet du texte polémique. Pourquoi François Hollande et Manuel Valls s’obstinent-ils à la fermeté sur le texte qui cristallise la contestation sociale dans l’Hexagone ?
Concrètement, avec toutes ces actions coups de poing et si cela continue sur la durée, est-ce que le gouvernement peut céder et revenir sur la loi travail, voire l’annuler ?
Nicolas Chapuis : Pour l’instant, le gouvernement a exprimé, à plusieurs reprises, son intention de ne rien céder sur ce texte. Manuel Valls l’a redit il y a quelques minutes à l’Assemblée nationale. Le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, à la sortie du conseil des ministres, avait fait de même. Il semble inenvisageable, à l’heure actuelle, que le gouvernement supprime cette loi. La vraie question est : reste-t-il des marges de manœuvre pour négocier sur le contenu du texte ?
Comment expliquer l’initiative de Bruno Le Roux ?
Bruno Le Roux, le « patron » du groupe PS à l’Assemblée nationale, a proposé de travailler sur une réécriture de l’article 2 de la loi, qui prévoit actuellement que les accords d’entreprise puissent primer sur les accords de branche. Il s’agit d’une petite épreuve de force entre le gouvernement et sa majorité.
Dès le début, les députés ont été heurtés de la façon dont le texte a été bâti. Beaucoup d’entre eux restent persuadés qu’il est loin de représenter un « équilibre » entre flexibilité et sécurisation du parcours des travailleurs. L’épisode du 49.3 a encore un peu plus fait monter la tension. Bruno Le Roux, quand il propose une réécriture, tient compte de l’état de nervosité de son propre groupe.
Pourquoi cette attitude de fermeté du gouvernement ? Comment peut-on l’expliquer ?
Tout d’abord… par conviction. Manuel Valls et François Hollande sont persuadés qu’une levée de ce qu’ils considèrent comme des blocages sur le marché du travail est nécessaire pour permettre à l’économie française de redécoller. C’est un désaccord majeur avec toute une partie de la gauche. La première version de la loi El Khomri, inspirée par Emmanuel Macron et Matignon, allait même beaucoup plus loin dans cette ambition.
Ensuite par souci de crédibilité. En cas de recul sur la loi travail, la légitimité du gouvernement serait immédiatement remise en cause. Manuel Valls a construit son image sur deux piliers : le réformisme et la fermeté. S’il recule face à la CGT, il montre son incapacité à réformer et prouve que sa fermeté n’est que de façade.
Que risque la majorité en cas de retrait du texte ?
Techniquement, elle ne risque rien… Une majorité peut très bien décider de revenir en arrière sur un texte. Mais politiquement, les conséquences seraient extrêmement lourdes. Pour Manuel Valls, qui s’est investi sur ce texte, pour le gouvernement qui serait décrédibilisé, et pour la majorité socialiste à l’Assemblée nationale, qui n’aurait plus aucune cohérence. Mais nous sommes encore très loin du scénario d’un retrait de la loi, à l’heure actuelle.
Francois Hollande, Manuel Valls et Myriam El Khomri à la sortie du conseil des ministres, mercredi 25 mai. | ALAIN JOCARD / AFP
La volonté de maintenir la loi travail malgré un rejet massif de la population est-elle une volonté du président Hollande de démontrer une capacité de rigueur et d’intransigeance au vu des présidentielles de 2017 ? En effet, celui-ci a souvent été décrit comme le président du compromis, avec le succès qu’on lui connaît, ce changement de casquette est-il une nouvelle stratégie électorale ?
Oui le chef de l’Etat veut montrer, à travers cette loi, sa capacité à réformer. Notamment vis-à-vis de Bruxelles. Il ne faut pas oublier que la Commission européenne a demandé à la France de faire des réformes, en échange d’un regard bienveillant sur ses déficits. Aux yeux des commissaires, la loi El Khomri est le « minimum » que la France peut faire. De plus François Hollande estime que cette loi n’est pas si impopulaire que cela et que se greffent sur elle d’autres enjeux. Le gouvernement estime que la CGT va s’isoler sur ce dossier et que la stratégie du bras de fer sera perdante pour la centrale syndicale.
En recourant au 49.3, le gouvernement ne s’est-il pas condamné à [toujours] « passer en force » ? Une négociation est-elle encore possible malgré le recours à cette procédure ?
Oui le 49.3 a crispé le débat. L’attitude du gouvernement a frustré une partie du « marais » du groupe PS, ces députés légitimistes qui peuvent, de temps en temps, se poser des questions sur la ligne gouvernementale.
Mais une négociation est toujours possible. Le texte va en effet passer au Sénat (où la droite va tout détricoter) puis revenir à l’Assemblée nationale. Le gouvernement va proposer à nouveau son texte. Il pourra, à ce moment-là, renégocier l’écriture de certains articles. C’est tout l’enjeu du petit bras de fer actuel entre les députés et le gouvernement. Mais Manuel Valls peut aussi décider de recourir à nouveau au 49.3.
Est-ce que Hollande se risquera à faire un référendum sur la loi travail ?
C’est hautement improbable. Il sait que les électeurs répondent rarement à la question posée et préfèrent sanctionner le pouvoir en place. Vu son niveau d’impopularité, il ne se fait aucune illusion sur l’issue d’une telle consultation.
Face à ce conflit social, le Parti socialiste va-t-il éclater ? Et pourquoi Martine Aubry ne se range-t-elle pas du côté des frondeurs alors que cette loi semble aux antipodes de son positionnement politique ?
Vous touchez là le nœud du débat à l’Assemblée. Une partie des députés aubrystes sont fermement opposés à la loi. Mais ils ne veulent pas en même temps mettre trop en difficulté François Hollande. C’est tout le dilemme de Martine Aubry depuis le début du quinquennat : elle a toujours eu de la rancœur envers François Hollande, mais elle considère qu’il reste le meilleur rempart à une prise de pouvoir au sein de la gauche de la ligne Valls, qu’elle déteste encore plus.
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Quitte à passer en force, pourquoi ne pas le faire avec la première version de la loi, qui était saluée comme une véritable réforme ?
Lorsque la première version du texte est sortie, même les plus légitimistes des députés PS se sont rebellés. Vous pouvez tenter un passage en force contre une partie de votre majorité, pas contre l’ensemble… D’où la deuxième version qui a permis au gouvernement de rallier la majorité de son propre groupe.
Vous dites : « De plus François Hollande estime que cette loi n’est pas si impopulaire que cela. » Qu’en est-il vraiment ? Il est vrai que les manifestations récentes n’ont pas fait l’objet d’une participation massive alors que la mobilisation des centrales syndicales est maximale.
C’est difficile à mesurer. Les derniers sondages montrent qu’une majorité de Français sont contre le projet de loi. Mais les manifestations ne sont pas monstres et les blocages sont pour l’instant opérés par une minorité. Le gouvernement espère que la colère des usagers se retournera à terme contre la CGT. Le calcul est risqué. Un sondage du Parisien ce matin montre que, pour l’instant, dans l’esprit des Français, c’est le gouvernement qui est responsable de la situation.