« Ma thèse en 180 secondes » : les doctorants, ces nouvelles stars
« Ma thèse en 180 secondes » : les doctorants, ces nouvelles stars
Par Marine Miller (Bordeaux, envoyée spéciale)
Seize étudiants participaient, mardi à Bordeaux, à la finale nationale de l’événement : un spectacle bien rôdé, avec quelques emprunts à la téléréalité.
Les trois finalistes de « Ma thèse en 180 secondes », édition 2016 | LeMonde.fr
« Imaginez-vous dans un supermarché, ce jeune cadre dynamique en costume et barbe bien taillé, très arrogant qui passe devant le caissier ou la caissière, le smartphone vissé sur l’oreille, et, sans un salut ni même un regard lui tend sa carte bleue. Ce type, c’est moi et c’est aussi vous. »
C’est avec cette accroche imagée que Bertrand Cochard, doctorant à l’université de Côte d’Azur, présente son sujet de thèse « réification, spectacle et imagification dans la philosophie de Guy Debord » devant une assemblée captivée de 500 personnes, réunies mardi 31 mai au Palais de la Bourse à Bordeaux pour la finale de la troisième édition de « Ma thèse en 180 secondes ».
Pendant trois minutes, cet agrégé de philosophie va dérouler un exposé clair, précis, engagé et passionné. À l’aide d’exemples qui parlent au grand public – Jérôme Cahuzac face à Jean-Jacques Bourdin, Coca Cola ou Carrefour –, l’étudiant décline sa réflexion sur « l’imagification ». Un mot et un concept qu’il a inventé et qui « adapte » la pensée de Guy Debord, auteur de la Société du spectacle, à 2016 : « La transformation des êtres et de leur relation en image. »
Grâce à sa prestation, Bertrand Cochard, obtient le prix du public et un prix du jury. Il ira à Rabat, au Maroc, le 29 septembre pour la finale internationale de « Ma thèse en 180 secondes ».
Métaphore de la téléréalité
Quinze autres doctorants ont présenté, deux heures durant, leur sujet de thèse avec un défi : se limiter à 3 minutes. Conçue comme une émission de télévision, « Ma thèse en 180 secondes » est animée par un « présentateur », le journaliste Daniel Fievet, et retransmise en direct sur Internet et sur les sites de France 3 Régions. Les candidats sont appelés sous les applaudissements du public, dans une ambiance sons et lumières dignes d’une téléréalité.
Pour rythmer le spectacle, le « journaliste présentateur » appuie sur un buzzer pour faire démarrer le chronomètre des 180 secondes, demande au jury d’intervenir pour commenter les prestations et interroge le spécialiste des réseaux sociaux pour faire un état des lieux de l’événement sur Twitter.
De leur côté, les organisateurs – la conférence des présidents d’universités (CPU) et le CNRS – n’ont pas hésité à filer la métaphore de la téléréalité. « Ils étaient vingt-huit candidats hier, ils sont seize ce soir, et ils ne seront plus que trois demain pour aller à Rabat au Maroc », a dramatisé Jean-Loup Salzmann, le président de la CPU en ouverture du spectacle. Anne Peyroche, directrice générale déléguée à la science du CNRS se félicitait, elle, d’une « troisième saison palpitante qui fait salle comble ».
Raconter une histoire
Mathieu Buonafine, premier prix du jury et finaliste de « Ma thèse en 180 secondes ». | LeMonde.fr
Pour captiver leur audience, les étudiants ont compris qu’il ne fallait pas exposer leur thèse, mais raconter une histoire. Le lauréat du premier prix du jury, Mathieu Buonafine (université Pierre-et-Marie-Curie) a ainsi transformé son sujet, « étude du rôle de la NGAL (neutrophil gelatinase associated lipocalin) dans les effets cardiovasculaires de l’activation du récepteur minéralocorticoide », en investigation.
« La protéine NGAL a un rôle bénéfique dans certains organes et délétère dans d’autres. Je suis parti de l’idée d’une protéine un peu racaille, un peu Docteur Jekyll et Mister Hyde et ensuite l’idée de l’enquête policière m’est venue. »
Finaliste, Thais Hautebergue, de l’université fédérale de Toulouse Midi-Pyrénées, a opté pour la méthode « one woman show ».
« Ma passion des champignons est née, quand, âgée de quatre ans, j’ai ouvert un pot de confiture moisi et recouvert d’une pellicule verdâtre. »
Depuis elle n’a de cesse de s’intéresser aux « supers champi », ces superhéros guérisseurs et destructeurs.
Du spectateur à l’acteur
« Pour cette troisième saison, le niveau était très bon et homogène. Les années précédentes il y avait des candidats techniquement bons, mais dont le sujet était creux », commente Jean-Loup Salzmann pendant que le « jury » délibère.
Là, le « spectacle » devient politique. Thierry Mandon, secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche et Alain Rousset, président de la région Aquitaine profitent de cet instant de répit pour poser avec les jeunes doctorants. « Je les embauche tous ! », lance ce dernier. La phrase intervient dans un contexte tendu, alors que le budget de la recherche a failli récemment être amputé.
Dans leurs laboratoires, les doctorants ont déjà conscience des problématiques de financements. « En psycho expérimentale, qui est l’une des disciplines les plus proches des sciences dures, il y a des problématiques de budget, alors je n’ose imaginer mes confrères de sociologie et de philosophie », confie Julie Rivière, doctorante à l’université de Lille et finaliste.
Une image de bonheur factice, « Ma thèse en 180 secondes » ? « Je ne prétends pas que ma thèse changera le monde, mais si en trois minutes j’ai réussi à vous convaincre de la nécessité de passer du statut de spectateur au statut d’acteur : rideaux ! », conclut Bertrand Cochard.