L’accueil du juge aux affaires familiales, au tribunal de grande instance de Paris. | PATRICK KOVARIK/AFP

On va bientôt pouvoir divorcer sans juge. Moins d’un mois après le dépôt d’un amendement en commission pour réformer le consentement mutuel et quelques jours après la fin des débats sur le sujet, le vote solennel de la loi « Justice du XXIe siècle » se tient mardi 24 mai. La convention entre les deux époux, contresignée par leurs deux avocats, pourra désormais être enregistrée chez un notaire.

Les opposants à ce texte – qui est l’une des mesures les plus controversées de la loi – sont nombreux et divers : syndicats de magistrats, associations familiales et catholiques mais aussi le défenseur des droits… qui s’inquiètent notamment de la protection des enfants.

Le sociologue François de Singly, spécialiste de la famille, revient sur cette réforme, qui est selon lui dans l’esprit du temps, mais ne protège pas assez les enfants et dont la forme est scandaleuse.

Permettre aux personnes qui divorcent par consentement mutuel de ne plus passer devant un juge vous paraît-il une réforme utile ?

François de Singly : Cette réforme me semble dans l’esprit du temps. Le principe initial de divorcer sans juge ne me paraît pas une aberration. Entre deux personnes adultes, pas nécessairement besoin d’un juge, mais d’une aide juridique, donc d’un avocat.

Le principe même du consentement mutuel conduit à l’absence du juge. D’une certaine façon, c’est un pas de plus vers le mariage contractuel. A moins de considérer le mariage comme une institution dont on n’est pas censé sortir, il n’y a aucune raison, en cas de consentement mutuel, de considérer que ce contrat est à ce point spécifique qu’on doive aller devant un juge pour le casser. Le juge n’est notamment pas un spécialiste du patrimoine. De plus, éviter d’attendre une audience permettrait de gagner du temps, c’est positif. A chaque projet de réforme pour simplifier les procédures de divorce, il reste toujours cette idée que les personnes se séparent contre leur bonheur, un doute qu’elles soient suffisamment conscientes pour prendre une bonne décision. Il faudrait donc les protéger, même contre leur gré.

Cependant, un des objectifs affichés est de désengorger les tribunaux, où la moitié des contentieux aux affaires familiales concernent des couples non mariés ou déjà divorcés aujourd’hui. Permettre à ceux qui divorcent par consentement mutuel de ne pas passer chez le juge pourrait peut-être éviter 20 % des procédures.

Un enfant est impliqué dans la moitié des divorces par consentement mutuel. La réforme prévoit que, dans le cas où il fait la demande, il soit représenté par un juge. Qu’en pensez-vous ?

Que l’enfant soit défendu par un juge uniquement à sa demande me semble absurde. Je ne pense pas que les parents soient les meilleurs juges de l’intérêt de l’enfant, en particulier pendant la période de séparation.

La question de la compétence parentale – apparue avec l’adoption des jeunes enfants puis les couples homosexuels – se pose aussi en cas de séparation. Même si on considère a priori qu’un parent est suffisamment compétent, quand il y a séparation, il faut vérifier qu’il n’est pas aveuglé par la situation et oublie l’intérêt de l’enfant. Finalement, ce n’est en rien naturel d’être un bon parent.

Que faudrait-il pour que les enfants soient mieux pris en compte ?

Il faut absolument un tiers pour représenter l’enfant, sans qu’il ait à le réclamer. Une solution transitoire consisterait à ne supprimer le juge quand dans les cas où il n’y a pas d’enfant mineur impliqué, pour que l’accord ne dérape pas en guerre parentale. On pourrait aussi expliciter dans la loi que le juge est chargé d’abord de l’intérêt de l’enfant, qu’il soit une sorte de « défenseur des enfants » au moment de la séparation. Symboliquement, la présence d’un juge marque aussi que l’enfant existe en tant que personne, même tout petit, et que son intérêt doit donc être défendu, comme celui de chacun de ses parents.

L’intérêt de l’enfant mérite d’être véritablement réfléchi, et pas uniquement défendu par les conservateurs. Si on veut mieux protéger les enfants, il faudrait défendre notamment tous ceux, nombreux, nés hors mariage, donc penser à une réforme globale de la vie conjugale, au-delà du seul mariage, et penser aussi au cas du concubinage. La distinction entre mariage et concubinage n’a pas de sens du point de vue de l’intérêt de l’enfant. Pourquoi ne pas prévoir que, pour toute séparation, l’intérêt de l’enfant soit défendu par un juge ? Il existe plusieurs formes de familles aujourd’hui, on pourrait imaginer des contraintes communes quand il s’agit de l’intérêt de l’enfant.

Des enfants mineurs impliqués dans plus de la moitié des divorces
Proportion de procédures dans lesquels un enfant mineur a été déclaré en 2014.

Que pensez-vous du fait que cette réforme soit passée dans le cadre d’un amendement déposé sur un texte déjà voté au Sénat ?

Le divorce et la séparation sont une question importante pour les gens, qui mérite plus qu’un amendement. Inclure cette réforme dans un amendement pour une justice moderne est scandaleux. Si on prend cette réforme au sérieux, elle aurait dû se faire sous la forme d’une loi. Une réforme du divorce est aussi une réforme du couple, de la famille, pas uniquement une question juridique.

La question de l’intérêt de l’enfant devrait aussi être défendue par la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, Laurence Rossignol.