Quand l’Etat est-allemand enlevait ses enfants
Quand l’Etat est-allemand enlevait ses enfants
Fruit d’une longue enquête, ce documentaire signé Gadh Charbit et Anne Véron revient sur une politique d’adoptions et de placements forcés (samedi 28 mai à 23 h 20 sur LCP).
Gadh Charbit lors de la projection du documentaire qu’il a coréalisé avec Anne Véron, « RDA, le mystère des enfants volés », au Goethe-Institut, à Paris, le 10 mai. | ©CAPA Pictures / Hugo MATHY
Fruit d’une longue enquête, ce documentaire signé Gadh Charbit et Anne Véron revient sur une politique d’adoptions et de placements forcés.
Calme, posée, fixant la caméra et parfois esquissant un timide sourire, Helga Labs délivre des paroles qui, dans le contexte de ce passionnant documentaire, résonnent de manière sinistre. En 1989, avant que ne tombe le mur de Berlin, cette femme élégante était ministre de l’éducation de la République démocratique allemande. Bras droit de la redoutable Margot Honecker (l’épouse du chef de l’Etat Erich Honecker) et ancienne responsable des Pionniers, organisation des Jeunesses communistes, cette militante pure et dure de la cause du socialisme réel à la sauce est-allemande n’a jamais renié ses convictions.
Interrogée sur l’enlèvement de milliers d’enfants à leurs familles pour être placés dans des foyers afin de devenir de bons citoyens ou pour être adoptés par des couples proches du pouvoir, Helga Labs trouve des justifications à tout : « En RDA, le droit à l’éducation, au travail, au bonheur et à la joie était offert à tous, quelle que soit sa position sociale. Et nous avons donné une possibilité aux enfants dont les parents n’étaient pas à la hauteur de trouver un sens à leur vie. »
Helga Labs, ministre de l’éducation de la République démocratique allemande en 1989 et ancienne responsable des Pionniers, organisation des Jeunesses communistes (capture d’écran). | DR
Des parents pas à la hauteur ? Comprenez de jeunes mères célibataires et autres éléments considérés officiellement comme « asociaux » ce qui, dans un univers verrouillé par la Stasi, pouvait concerner pas mal de monde. De fait, on estime à un peu plus de dix mille le nombre de jeunes garçons et filles enlevés à leurs familles en RDA. Des directrices de crèche et des assistantes sociales ont été en première ligne dans cette vaste opération de kidnapping d’Etat.
Goulags pour mineurs
Des milliers d’enfants enlevés à leur mère ont aussi passé des années dans des foyers dont certains, comme celui de Torgau, ressemblaient à de véritables goulags pour mineurs. « J’ai passé les dix-huit premières années de ma vie en foyer. Pour moi, la violence, les abus sexuels, les cellules, c’était normal », avoue René. Interrogée sur ces conditions, Helga Labs ne se démonte pas : « Les foyers étaient un bon départ pour la vie ! »
Souvent bouleversant, ce documentaire s’appuie sur de nombreux témoignages de mères et d’enfants ayant vécu ce traumatisme. Des décennies plus tard, la douleur est encore palpable. Chaque mois, sur l’Alexanderplatz au cœur de Berlin, des victimes manifestent en affichant près de 360 avis de recherche. Mais, souligne Anna Kaminsky, directrice du Centre de recherches sur la dictature en RDA : « L’accès aux dossiers permet désormais aux enfants adoptés de savoir qui sont leurs vrais parents. Mais les parents biologiques, eux, n’ont toujours pas ce droit. » Douleur supplémentaire : les preuves sont parfois difficiles à établir, car de nombreux certificats d’abandon ont été, à l’époque, signés sous la contrainte, ou trafiqués par les autorités.
Les jeunes pionniers de RDA devaient d’abord aimer leur pays, puis l’ami et fidèle allié soviétique et, seulement après, leurs parents. Les lois de la RDA n’accordaient aucun droit fondamental aux parents et de hauts fonctionnaires comme des militants fidèles au régime en ont profité pour adopter des enfants. Ce documentaire, fruit d’une longue et difficile enquête, diffuse également de courtes séquences provenant de vidéos tournées par la Stasi lors de perquisitions. Edifiant.
RDA, le mystère des enfants volés, de Gadh Charbit et Anne Véron (France, 2015, 52 min). Samedi 28 mai à 23 h 20 sur LCP. Rediffusions le dimanche 29 mai à 10 h 20 et le vendredi 3 juin à 17 h 30.
Samedi soir dimanche matin le face-à-face (21/05/2016)
Durée : 06:07