Réunion : réconciliation ou… ?
Réunion : réconciliation ou… ?
Par Pierre Jullien
La chronique des « mots de l’emploi » de Pierre Jullien. Un cadre passerait en moyenne seize ans de sa carrière en réunion.
81% des participants à une réunion s’occupent en faisant autre chose : certains dessinent (37%), jouent sur leur téléphone (10%), vont sur les réseaux sociaux (8%)... (Photo: personnel gréviste de la raffinerie Exxon Mobil de Gravenchon se réunit, le 24 mai à l'entrée du site, alors que la grève vient d'être votée pour protester contre la loi travail). | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR LE MONDE
Le mot apparu au XVe siècle dans le sens d’« entente », de « réconciliation » et de la plus belliqueuse « annexion » - qui est bien l’« action de réunir » -, est dérivé d’union, emprunté au bas latin unio (« union ») lui-même dérivé de unus (le nombre « un »).
Une étude du cabinet Perfony en 2014 estimait qu’un cadre passe en moyenne seize ans de sa carrière en réunion.
« Je suis en réunion » autorise toutes les interprétations, analyse Jean-Paul Guedj, essayiste et consultant en entreprise dans son Petit décodeur des phrases toxiques qui nous plombent le moral (Larousse, 2015). La formule magique est l’alibi de tous les crimes. Elle permet aux cadres qui ont des maîtresses (ou des amants) d’accomplir l’adultère avec une excuse standard professionnelle » et elle dispense « le collaborateur de se confronter avec sa hiérarchie ».
Pas faux lorsque l’on considère les résultats d’une enquête de l’IFOP du 24 mars 2015, selon laquelle 92 % des cadres participent régulièrement à des réunions, avec en moyenne trois rendez-vous par semaine, d’une durée moyenne de 1 heure 19 minutes et décrochent au bout de 52 minutes, tandis que 81 % d’entre eux s’occupent en faisant autre chose : certains dessinent (37 %), jouent sur leur téléphone (10 %), vont sur les réseaux sociaux (8 %), organisent leurs week-ends ou vacances (7 %) ou encore… vont sur des sites de rencontre (2 %).
L’attention des participants
D’ailleurs, le Trésor de la langue française commence par définir le mot comme étant l’« action de mettre côte à côte, de faire se toucher, de mettre ensemble », ce qui est une des fonctions des réseaux sociaux qui bénéficient de toute l’attention des participants aux réunions…
Guère plus optimiste sur l’efficacité des réunions, Samuel Marckett (En Attendant le week-end, Max Milo, 2012) constate qu’« à la fin de la réunion les problèmes rentrent dans leurs dossiers et ceux-ci sont refermés » jusqu’à la suivante.
Classiquement, le mot désigne un « ensemble de personnes réunies en un lieu déterminé, dans un but déterminé ; temps pendant lequel elles sont réunies ». Le Petit Robert distingue l’aspect momentané de la réunion du groupement permanent d’une association. La « réunionite », qui peut être aiguë, renvoie à la manie des réunions alors qu’Hubert Landier (18 bonnes raisons de détester son entreprise, François Bourin Editeur, 2012), rappelle pour sa part que si ce temps constitue un moment de convivialité indispensable pour la coordination du travail, il n’en demeure pas moins que les salariés jugent les réunions, qui se heurtent à « un vieux fond taylorien », « trop rares et mal conduites » et qu’elles « se résument à un monologue du chef ».
Le Petit Larousse la définit aussi comme une « compétition hippique », dans laquelle des chevaux – qui sont rarement des bourrins – s’affrontent. Ce qui nous éloigne de l’idée de la « réconciliation » d’origine et renvoie à la performance et à la survie en entreprise, « challenge de tous les instants », selon M. Guedj dans un autre de ses ouvrages.