Un proche de Dieudonné gagne un concours iranien de caricature sur l’Holocauste
Un proche de Dieudonné gagne un concours iranien de caricature sur l’Holocauste
Par Julien Lemaignen
Le caricaturiste Zéon fait l’objet de poursuites en France pour d’autres dessins sur la communauté juive.
Sur le site de l’ancien camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, en janvier 2015. | JOEL SAGET / AFP
Le tiroir-caisse est coiffé de la porte d’entrée du camp d’Auschwitz, son compteur est arrêté sur 6 millions – l’estimation du nombre de juifs tués lors de l’Holocauste –, et son tiroir plein de billets porte la mention « Shoah Business ». Le clavier, lui, évoque la loi Gayssot de 1990 sur la répression des actes racistes, antisémites ou xénophobes. C’est avec cette production que le dessinateur Zéon a remporté la deuxième édition du Concours international de caricature et de dessin de l’Holocauste, dont la cérémonie de clôture s’est tenue à Téhéran le 31 mai. Il a obtenu le premier prix assorti de 12 000 dollars (10 700 euros). Le site ActuaBD s’en est fait l’écho dès le lendemain.
Le dessinateur de 31 ans, Pascal Fernandez de son vrai nom, est très proche de l’essayiste Alain Soral et de l’humoriste controversé Dieudonné M’Bala M’Bala, avec qui il a signé une bande dessinée, Yacht Club. Il partage avec eux le mépris pour l’instrumentalisation supposée de la Shoah, expliquant sur son blog que « c’est rendre hommage à toutes les victimes (...) de la seconde guerre mondiale que de dénoncer ceux qui utilisent leur martyre à des fins de basse politique et de justification de massacres comme en Palestine », tout en reconnaissant avoir été « peut-être parfois un peu maladroit dans [s]a manière d’aborder [s]es sujets ».
Comme à ses mentors, ses prises de position lui ont valu des démêlés judiciaires en France. Il devrait comparaître en appel à la fin de l’année pour d’autres dessins, à la suite d’une plainte du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme. Son président, Sammy Ghozlan, compte déposer une nouvelle plainte pour le dessin primé en Iran, qu’il juge « odieux et obscène ».
Critique des lois mémorielles
M. Ghozlan se dit également « absolument horrifié » par le concours iranien. Parmi les dessins récompensés, l’un représente le gardien d’un musée de l’Holocauste vérifiant que les visiteurs se sont bien coupé la langue avant d’être autorisés à entrer, évoquant l’interdiction des critiques contre les lois mémorielles ; un autre, « prix spécial », montre quatre religieux juifs dînant grassement des lettres « Holocaust » semblables à des bagels.
D’après le site du quotidien iranien Tehran Times, le secrétaire général de la compétition, Massoud Shojai-Tabatabai, a déclaré lors de la remise des prix que « l’un des sujets sur lesquels nous avons demandé aux dessinateurs de se concentrer est la raison pour laquelle les pays occidentaux arrêtent tout penseur qui met en doute l’Holocauste, alors qu’ils ne mettent aucune limite à la liberté d’expression dans les autres catégories ».
Soucieux d’éviter que les autorités pâtissent de la réputation sulfureuse de l’événement, le ministre des affaires étrangères iranien, Javad Zarif, avait indiqué au New Yorker, le 25 avril, qu’il était l’initiative d’une « organisation non gouvernementale qui n’est pas contrôlée par le gouvernement iranien, pas plus qu’elle n’est approuvée » par lui.
« Consternation » du Quai d’Orsay
Pourtant, d’après les agences de presse iraniennes, M. Shojai-Tabatabai a expliqué qu’il a été nommé par le ministère de la culture et de l’orientation islamique, rapporte la Deutsche Welle. Le caricaturiste iranien en exil Kianoush Ramezani a aussi confié au site spécialisé Caricature & caricatures que M. Tabatabai « est l’un des islamistes extrémistes qui sont nommés directement par le chef suprême de l’Iran pour contrôler les journalistes, les artistes et les intellectuels ».
Le petit monde français du dessin et de la caricature avait été ébranlé par la précédente édition du concours, en 2015. La participation de Bernard Bouton, alors président général de la Fédération des organisations de dessinateurs (FECO), avait suscité un tollé dans la branche française de l’organisme. M. Bouton avait d’abord défendu sa participation avant d’être contraint à la démission. Il confie aujourd’hui avoir « longtemps hésité à envoyer un dessin », s’être senti « en très mauvaise compagnie » auprès des autres dessinateurs participants, et finalement « partager l’indignation suscitée par certains dessins lamentables ».
Le vice-président de la FECO-France, Pierre Ballouhey, estime de son côté que le concours était « directement orienté politiquement contre les rassemblements qui ont suivi les attaques terroristes de janvier à Paris, et ce en ciblant l’Holocauste ».
A Paris, le ministère des affaires étrangères s’est indigné mercredi de l’événement de Téhéran, évoquant la « consternation » de la France quant à des caricatures « antisémites et négationnistes ». D’après le ministère des affaires étrangères, la publication en France de ces dessins est « passible de sanctions pénales ». Après avoir d’abord accepté de s’exprimer par courriel, M. Fernandez n’a pas renvoyé le questionnaire du Monde.