Volley : la France face au phénomène iranien
Volley : la France face au phénomène iranien
Par Thibaud Le Meneec
Opposée à la France mardi matin, l’équipe iranienne de volley se rapproche d’une première qualification aux Jeux olympiques. Un paradoxe pour un pays passionné par ce sport.
Les Iraniens Saeed Marouf (à droite) et Seyed Mohammad Mousavilors d’un match contre les Etats-Unis en 2015. | BEHROUZ MEHRI / AFP
Au moment de quitter l’enceinte du Tokyo Metropolitan Gymnasium, où ses joueurs affrontent l’équipe de France, mardi matin (8 h 30), l’entraîneur Raul Lozano pensera peut-être au Brésil, non loin de son Argentine natale. Et avec lui toute l’équipe iranienne de volley-ball, bien placée pour aller à Rio en août prochain. Avant cela, l’Iran devra donc se méfier de la France, mais aussi du Japon, de la Chine, de la Pologne et du Venezuela.
Si elle termine dans les quatre premiers sur huit équipes engagées pour ce tournoi de qualification olympique, ou première équipe asiatique, l’Iran validera son billet pour les Jeux olympiques. Les premiers de son histoire.
Forcément, la perspective d’une olympiade inédite enthousiasme les Iraniens. Lors des deux matchs disputés en préparation de ce tournoi face à la France, mi-mai, les supporteurs ont parfois donné l’impression d’être en finale d’une Coupe du monde. Une petite cinquantaine d’Iraniens ont ainsi répondu avec ferveur aux quelque 3 000 fans des Bleus à Tourcoing, vendredi 13 mai.
« Il y a beaucoup d’espoir, atteste Mohammad Safaei, premier conseiller à l’ambassade d’Iran en France et venu assister à la rencontre au milieu des supporteurs de son équipe. Le volley-ball rassemble les gens, une culture de ce sport est présente en Iran. » Bien davantage qu’en France, où le volley ne séduit que 126 000 licenciés, l’Iran en a fait un des premiers sports collectifs pratiqués. Derrière le football, mais loin devant tous les autres.
« La fédération iranienne de volley-ball a été créée en 1945, un an avant celle de football », précise Christian Bromberger, chercheur au CNRS et spécialiste de l’Iran. Depuis, le volley-ball est resté populaire malgré la fermeture progressive du pays à partir de la révolution islamique de 1979.
Au cœur de cet attrait rarement remis en cause, la différence de perception qu’ont les autorités du football et du volley-ball : « L’atmosphère du stade de volley-ball est beaucoup plus sage que celle du football », explique M. Bromberger. A entendre M. Safaei parler « du loisir, de la paix et de la créativité » en voyant jouer les protégés de Raul Lozano, la très bonne réputation qu’a le volley-ball auprès des Iraniens ne surprend guère.
Autorisation des supportrices en 2015
Aussi bruyantes que les hommes, les supportrices iraniennes décident ce vendredi 13 mai de tout donner pour pousser leur équipe à vaincre la France à domicile. Peut-être qu’elles croient en de vraies chances olympiques pour l’Iran, actuellement au huitième rang mondial. Peut-être qu’il s’agit aussi pour ces femmes de profiter d’une situation relativement nouvelle au sein de la République islamique : entre 2012 et 2015, elles ne pouvaient plus assister à des rencontres de volley-ball masculin, une interdiction qui prévaut depuis 1979 pour les matchs de football.
Ghoncheh Gahvami, un symbole pour les femmes
Loin d’être évident, l’assouplissement du régime sur les questions de genre et de sport trouve son origine dans la rébellion d’une jeune étudiante en droit, Ghoncheh Gahvami.
En juin 2014, l’Irano-Britannique tente d’assister au match Iran-Italie, à Téhéran, avec une quinzaine d’autres jeunes femmes. Emprisonnée à Evin et placée en cellule d’isolement, Gahvami sera libérée en novembre de la même année, après une grève de la faim et le versement d’une forte caution (environ 27 000 euros). Son cas forcera les autorités à une plus grande tolérance.
Autorisées à assister aux matchs masculins en avril 2015, les Iraniennes ont désormais la possibilité de soutenir leur équipe sur la route des Jeux. Mais la question du niveau affiché par l’équipe passe parfois au second plan. « Nous sommes très attachés à notre pays, c’est pour cela qu’on se déplace », détaille Panteha, jeune résidente belge, présente en tribunes à Tourcoing, le 13 mai. « Le sentiment national est exacerbé en Iran, bien plus qu’ailleurs, confirme M. Bromberger. Contrairement à certains pays d’Europe où des clubs rivaux ne se supporteront jamais, en Iran, il faut systématiquement soutenir le club iranien. »
Marouf, une star à la passe
Alors les Iraniens s’exécutent et se prennent au jeu, hommes et femmes confondus. Et bénéficient, pour y prendre goût, d’une formation qui compte parmi elle d’excellentes individualités. « J’adore Amir Ghafour », s’exclame Panteha. Comme l’immense majorité des joueurs de la sélection iranienne, Ghafour joue en Iran et y jouit d’une bonne popularité. Mais un homme symbolise en particulier l’aura qu’ont les vedettes du volley iranien : Saeed Marouf.
Né à Ourmia, où il joue actuellement, le passeur de 30 ans est considéré comme l’un des trois meilleurs au monde à son poste. En 2015, fait rare pour un Iranien, Marouf a joué à l’étranger, au Rubin Kazan (Russie), avec une folle rumeur qui établissait le contrat payé par le club russe à près d’un million de dollars, faisant de l’Iranien l’un des joueurs les mieux payés au monde. Qu’importe si Marouf est retourné en Iran au bout de quelques mois dans un club de sa ville natale, la légende était bâtie.
Arrivé en novembre 2015 pour qualifier l’Iran aux Jeux, l’Argentin Raul Lozano a rapidement fait de Marouf son homme fort : « Il a joué à l’étranger, il allie la créativité et la précision. C’est le capitaine, il nous aide à mettre en place la tactique. » Mardi, opposé à Benjamin Toniutti, autre passeur au sommet de la hiérarchie mondiale, Marouf devra porter les siens pour s’imposer face aux Bleus, larges vainqueurs des deux matchs de préparation (3-1 puis 3-0). Un exploit qui ouvrirait un peu plus la route de Rio, du 5 au 21 août, que tout un peuple attend d’emprunter aux côtés de ses champions.