Zimbabwe : la colère au nom du drapeau
Zimbabwe : la colère au nom du drapeau
Par Elise Barthet
En postant sur Facebook un plaidoyer pour le changement, le pasteur Evans Mawarire a rallié à sa cause les opposants au régime de Robert Mugabe.
Il est à moitié avachi sur son bureau, un drapeau plié sur les épaules. Face à la camera, Evans Mawarire prêche. Le cou tendu vers l’écran, le pasteur zimbabwéen tord le tissu comme si l’étoffe était vivante. Il égrène : vert pour la végétation et les récoltes, jaune pour le minerai, rouge en souvenir du sang répandu au nom de la liberté, noir, enfin, pour les Africains. « Quand je regarde ce drapeau, assène le patriote déçu, ce n’est pas une source de fierté et d’inspiration, je me dis que j’aimerais appartenir à un autre pays. (…) Il est temps, il est temps que les choses changent. »
La vidéo, postée sur Facebook le 20 avril, a été vue près de 200 000 fois. Mais c’est surtout le mot-dièse, accolé aux images, qui a inspiré les internautes zimbabwéens. Repris massivement sur les réseaux sociaux, #ThisFlag (« ce drapeau ») est devenu en quelques semaines l’étendard de la révolte en ligne contre le régime de Robert Mugabe. Une campagne nourrie de portraits de citoyens posant avec le drapeau et de montages photo :
Just got my flag #ThisFlag https://t.co/8XifmrkZAm
— LanceGuma (@Lance Guma)
The schools & Ministerial vehicles in Zimbabwe #ThisFlag https://t.co/JKtBqTTBAL
— ali_naka (@African)
A coup de tweets rageurs ou ironiques, les internautes dénoncent l’autoritarisme du président nonagénaire et la mainmise sur le pays de son parti, la ZANU-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe - Front patriotique). Un écho numérique à la marche de l’opposition qui avait rassemblé 2 000 personnes à la mi-avril dans la capitale Harare pour protester contre la corruption de l’Etat et son incapacité à fournir à la population des services de base.
Zimbabwe's President Robert Mugabe and his wife Grace greet supporters of his ZANU (PF) party during the "One Million Man March", a show of support of Mugabe's rule in Harare, Zimbabwe, May 25, 2016. REUTERS/Philimon Bulawayo. TPX IMAGES OF THE DAY | PHILIMON BULAWAYO / REUTERS
« Je ne vais nulle part »
Ses détracteurs reprochent au vieux héros de l’indépendance, au pouvoir depuis 1980, d’avoir laissé le pays s’enfoncer dans la crise économique. Poussées par le chômage et la misère, des centaines de milliers de Zimbabwéens ont émigré ces dernières années vers l’Afrique du Sud. Hyperinflation oblige – elle a atteint jusqu’à 231 150 889 % –, la monnaie nationale a été supprimée en 2009 au profit du dollar américain.
Et l’ancien « grenier de l’Afrique » n’est pas sorti du marasme. Cette année, du fait de la sécheresse qui frappe l’Afrique australe, la ministre de la santé estime que 4 millions de Zimbabwéens, sur une population de 14 millions, auront besoin d’aide alimentaire. L’agriculture, autrefois prospère, pâtit encore des ratés de la réforme agraire marquée par l’expulsion des fermiers blancs et la redistribution des terres à quelque 260 000 Noirs sous-équipés et sans moyens pour investir.
Elections will not dislodge Zanu PF....it's the economy that will...enough is enough #ThisFlag
— elias_mambo (@Elias Mambo)
Face à l’ampleur de la crise, l’impact de la campagne #ThisFlag est surtout symbolique. Si son initiateur y voit une lame de fond susceptible de changer la donne, elle agace davantage qu’elle ne bouleverse les hautes sphères du pouvoir. Le ministre de l’éducation supérieure, Jonathan Moyo, a riposté sur Twitter en qualifiant de « pet de pasteur » l’initiative d’Evans Mawarire et lancé une contre-campagne, baptisée #OurFlag (« notre drapeau »).
Oh. Very revealing. So #ThisFlag thing is a pastor's fart. How stinking! https://t.co/dMmpRJoNk9
— ProfJNMoyo (@Prof Jonathan Moyo)
Plusieurs dizaines de milliers de sympathisants de Robert Mugabe ont également défilé, mercredi 25 mai, à Harare en soutien au président. « Je suis au service du peuple. Si le peuple veut que je parte, je partirai. Mais maintenant où voulez-vous que j’aille ? Je ne vais nulle part », avait alors assuré à ses partisans le « vieux Bob », bien décidé à se représenter en 2018. Ce ne sont pas un hashtag et quelques photos qui feront chanceler son pouvoir. « La lutte des Zimbabwéens ne sera pas tweetée », déplore la radio Nehanda sur son site Internet.
Evans Mawarire, qui ne cite jamais le nom de Robert Mugabe dans sa vidéo, se défend pour sa part d’appeler à un changement de régime. Il veut, confie-t-il au Guardian, libérer la parole. Mais dans un pays où les opposants peuvent disparaître du jour au lendemain, le pari est risqué. « Ce drapeau autour de ton cou pourrait bien finir par t’étrangler », l’a-t-on déjà mis en garde.