Le jour où le Royaume-Uni est sorti de l’Europe
« Brexit » : le jour où le Royaume-Uni est sorti de l’Europe
A près de 52 %, les Britanniques ont décidé de vivre leur destin hors de l’Union européenne, semant la panique sur les marchés et l’inquiétude chez les politiques européens. Récit d’une journée d’Histoire.
L’Union européenne (UE) s’était endormie à vingt-huit, elle s’est réveillée à vingt-sept, vendredi 24 juin. Près de 52 % des Britanniques ont voté « Leave », jeudi, au référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE, ouvrant la porte vers une nouvelle histoire semée d’incertitude. Récit d’une journée de « Brexit ».
4 h 44, une nouvelle aube
Un partisan du « Leave » devant le Parliament square à Londres, vendredi 24 juin. | Matt Dunham / AP
La rumeur a monté crescendo toute la nuit. Et si, après avoir été annoncé perdant dès la fermeture des bureaux de vote, à 22 heures, le vote « Leave », l’emportait finalement ? Dans les bureaux de la City, certains n’ont pas fermé l’œil.
Au cœur de la nuit, à mesure que les résultats des différents bureaux tombent, le scénario d’un vote à majorité pour le « Brexit » s’affine. Nigel Farrage, leader du UKIP, parti indépendantiste britannique, qui avait prédit sa défaite, commence à changer de ton. « Je commence à rêver que l’aube se lève sur un Royaume-Uni indépendant » écrit-il sur Twitter. Il est 4 h 44 du matin.
I now dare to dream that the dawn is coming up on an independent United Kingdom.
— Nigel_Farage (@Nigel Farage)
Une heure plus tard, l’issue ne fait plus guère de doute. Les Britanniques ont voté à 51,9 % pour que le pays quitte l’Union européenne qu’ils avaient rejoint en 1973. Les résultats du référendum montrent un Royaume-Uni profondément divisé, avec Londres, l’Ecosse et l’Irlande du nord qui ont voté pour rester dans l’UE tandis que le nord de l’Angleterre et le Pays de Galles ont voté une sortie. Pour les Vingt-Huit c’est un choc : jamais un de ses membres ne l’avait quittée depuis le début de son histoire.
Le choc arrive par les marchés
Des traders au centre financier de Canary Wharf à Londres. | RUSSELL BOYCE / REUTERS
Au fil du dépouillement, la Bourse de Tokyo a commencé à tanguer dans la nuit, face aux grandes incertitudes financières qu’augure un « Brexit ». L’indice Nikkei terminera sa dégringolade à 7,92 % – un plongeon jamais vu depuis la chute de Lehmann Brothers en 2008. A l’ouverture des Bourses européennes, rebelote : à Paris, le CAC40 perd 5 % ; à Londres, le Footsie, comme le Dax à Francfort, chutent de 10 %, entraînés par la chute des indices bancaires, qui frôlent les moins 30 % – les banques avaient majoritairement parié sur la victoire du « in ».
Dans toute l’Europe, c’est un réveil de gueule de bois : sur les réseaux sociaux, stars et anonymes, au Royaume-Uni et ailleurs, disent leur tristesse de voir le « Brexit » l’emporter. L’écrivaine JK Rowling, qui a fait campagne pour le « in », réconforte ses lecteurs sur Twitter, avec un humour tout britannique. A un internaute londonien pro- « in » qui disait « nous sommes ouverts, nous aimons la diversité et la compassion », elle répondait « je vous aime, et Londres aussi - enfin, je vous aime d’une manière qui ne nous mette pas, vous ou moi, mal à l’aise, nous restons anglais »
I love you, Sathnam*, and London too.
* In a way that should make neither of us uncomfortable #British #emotional https://t.co/SIuHd5D0Zn
— jk_rowling (@J.K. Rowling)
La Une du « London Evening Standard » | LEON NEAL / AFP
Dans les journaux, les éditoriaux allemands ou français sont sévères, dénonçant « une catastrophe historique » ou « un jour noir ». En Grande-Bretagne, les tabloïds, qui ont presque tous fait campagne pour le « out », exultent, tout comme les sympathisants du UKIP.
Ces derniers déchanteront quelque peu en milieu de matinée, lorsque leur leader, Nigel Farage, reconnaîtra sur un plateau de télévision que l’un des arguments-massue de son parti, qui assurait que la contribution de la Grande-Bretagne serait désormais reversée à la sécurité sociale, était tout simplement faux.
« Je pense que le pays a besoin d’un nouveau leader »
David Cameron annonce dans la matinée sa démission à venir. | STEFAN WERMUTH / REUTERS
Peu après 9 heures, sur le perron du 10 Downing Street, l’air grave, David Cameron annonce sa démission du gouvernement dans les trois mois. « Je pense que le pays a besoin d’un nouveau leader », a déclaré celui qui avait pris l’initiative du référendum et qui avait milité pour le maintien de son pays dans l’Union européenne.
« Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, ces prochaines semaines et ces prochains mois, pour stabiliser le navire, mais je ne pense pas qu’il soit bénéfique que je sois le capitaine qui dirige notre pays vers sa nouvelle destination » a-t-il déclaré, s’estimant incapable de mener les négociations qui vont désormais s’ouvrir pour avaliser le départ de son pays de l’Union européenne. Il assurera la transition, qu’il espère durer au maximum jusqu’en octobre, lorsque sa formation politique, le Parti conservateur, désignera un nouveau leader.
De son côté, Nigel Farage, exulte devant une foule en délire. « Nous l’avons fait pour l’Europe entière. J’espère que cette victoire va faire tomber ce projet raté et nous guider vers une Europe de nations souveraines. Débarrassons-nous du drapeau (européen), de Bruxelles et de tout ce qui a échoué. Faisons de ce 23 juin notre jour d’indépendance ! »
En Ecosse à l’inverse, c’est le choc : on s’y est prononcé à 62 % pour rester dans l’UE. L’ensemble des 32 circonscriptions écossaises ont choisi le « in ». Dans la matinée, la première ministre écossaise Nicola Sturgeon déclare que la région voit « son avenir au sein de l’Union européenne » et évoque « la possibilité d’un second référendum (sur la sortie de l’Ecosse du Royaume-Uni) doit être sur la table et elle est sur la table ».
Un « coup porté » à l’Union européenne
German chancellor Angela Merkel addresses journalists after meeting with German parliamentary groups and ministers to discuss the so-called Brexit referendum at the Chancellery on June 24, 2016 in Berlin. / AFP / John MACDOUGALL | JOHN MACDOUGALL / AFP
Tour à tour, au fil de la journée, les dirigeants européens ont pris acte de la défection de leur partenaire britannique. Angela Merkel a mis en garde contre « le coup porté » à l’UE et « au processus d’unification européenne ». M. Renzi a pour sa part jugé essentiel de « rénover » la maison Europe.
Dans une allocution François Hollande a, lui, tenté de placer la France au cœur d’un renouveau européen, pour faire face à une situation qu’il regrette « profondément » et qui met « gravement l’Europe à l’épreuve ». « L’Europe ne peut plus faire comme avant », a-t-il ajouté, l’appelant désormais à « se concentrer sur l’essentiel », une feuille de route dont les têtes de chapitre seraient « l’investissement pour la croissance et pour l’emploi », l’« harmonisation fiscale et sociale » ainsi que « le renforcement de la zone euro et de sa gouvernance démocratique ».
La classe politique française apparaissait, elle, divisée face au choix des Britanniques. « La plus grosse erreur que nous pourrions faire, ce serait de laisser entendre qu’à vingt-sept on peut continuer comme avant » a déclaré Alain Juppé, candidat à la primaire de la droite, tandis que son possible adversaire, Nicolas Sarkozy a demandé « un nouveau traité européen ».
« L’urgence c’est de rebâtir un projet européen ambitieux, avec les citoyens » a estimé pour sa part, le socialiste Harlem Désir, secrétaire d’Etat aux affaires européennes. La gauche radicale, s’est, elle, engouffrée dans la porte ouverte par le « Brexit ». « L’heure du plan B va sonner. Ma candidature pour l’élection présidentielle est celle de la sortie des traités européens », a assuré Jean-Luc Mélenchon, candidat pour le Parti de gauche.
Sans surprise, le Front national (FN) s’est, lui, réjoui du vote des Britanniques en faveur de leur sortie de l’Union européenne (UE). « Victoire de la liberté ! Comme je le demande depuis des années, il faut maintenant le même référendum en France et dans les pays de l’UE », a écrit la présidente du parti d’extrême droite Marine Le Pen
Et demain ?
Vote Leave campaign leader Boris Johnson arrives to speak at the group's headquarters in London, Britain June 24, 2016. REUTERS/Mary Turner/Pool TPX IMAGES OF THE DAY | POOL / REUTERS
Sur les places boursières, c’est toujours la stupéfaction : toutes les places européennes clôturent en très forte baisse : moins 8 % pour Paris, moins 12 % pour Madrid, moins 6,8 % pour Francfort. Toutes, sauf une : Londres, qui a démarré la journée en chute libre pour la finir sur une chute modeste de 2,76 %. Dans la journée, la banque d’Angleterre s’était engagée à injecter 250 milliards de livres de liquidités dans l’économie, pour stopper la panique qui s’emparait de la Bourse de Londres.
Dans combien de temps le divorce sera-t-il prononcé ? Le plus vite possible réclament les partenaires européens. Tout délai « prolongera de manière non-nécessaire un climat d’incertitudes » ont prévenu les présidents du Conseil européen, de la Commission et du Parlement, respectivement Donald Tusk, Jean-Claude Juncker et Martin Schulz, ainsi que le premier ministre néerlandais Mark Rutte qui détient actuellement la présidence tournante de l’Union.
Les Britanniques ont toutefois semblé moins pressés de précipiter leur départ, dans un contexte où ils devraient renégocier de nombreux traités. David Cameron a annoncé qu’il laissera à son successeur le soin de s’y atteler, soit pas avant octobre. « Il n’y a actuellement nul besoin de se hâter » a renchéri l’ancien maire conservateur de Londres, Boris Johnson qui ressort comme l’homme fort des Tories après qu’il a fait campagne pour le « Brexit ».
En fin de journée, le calendrier des jours à venir s’éclaircit – lundi, une rencontre aura lieu entre François Hollande, Matteo Renzi et Angela Merkel avant le conseil européen de mardi et mercredi. Mardi, en France, un débat aura lieu au Parlement, après un discours de Manuel Valls. En Grande-Bretagne, l’incertitude persiste : après le départ annoncé de David Cameron et les exhortations des dirigeants de l’Union à hâter le processus, la balle est, à nouveau, dans le camp des pro-Brexit, Boris Johnson en tête.
Brexit : "Un camouflet pour David Cameron, un casse-tête pour les Européens"
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