« Pour l’Afrique, le “Brexit” ouvre des opportunités dans les années à venir »
« Pour l’Afrique, le “Brexit” ouvre des opportunités dans les années à venir »
Par Morgane Le Cam (contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou)
Des experts estiment que l’Afrique va profiter d’une sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. A condition de négocier des accords plus favorables.
La sortie de l’Union européenne, dite « Brexit », votée à presque 52 % jeudi 23 juin par les Britanniques, aura un impact économique en Afrique. Au-delà du choc provoqué sur les marchés par le résultat de ce référendum, la plongée de la livre sterling et du prix du pétrole, notamment, la Grande-Bretagne est le deuxième plus gros investisseur européen sur le continent après la France. En choisissant d’être seul capitaine de son propre navire, elle va sensiblement modifier ses liens économiques avec ses partenaires africains.
Malus sur les exportations britanniques ?
En sortant de l’Union européenne (UE), la Grande-Bretagne s’expose à l’instauration de droits de douanes entre elle et ses anciens frères européens. De quoi faire augmenter le coût de production de ses produits, dont la fabrication est souvent sous-traitée dans d’autres pays européens. Et donc le prix à l’export.
« Une partie des machines anglaises utilisées dans des secteurs de pointe, tels que l’énergie ou le pétrole, est exportée en Afrique, dans des pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud ou encore l’Egypte, explique Christian Liongo, président d’Africa Rise, un organisme belge facilitant les contacts entre entrepreneurs européens et africains. Mais si leur prix augmente, ces pays auront davantage intérêt à acheter ailleurs. »
D’autant que depuis une quinzaine d’années, les pays africains ont diversifié leurs sources d’approvisionnement. Sur le continent, la Chine, la Corée du Sud, le Japon ou encore l’Inde sont montés en puissance et pourraient profiter de la hausse des prix des exportations britanniques pour gagner encore plus la faveur des marchés africains.
Une aide au développement chamboulée
Si l’UE peut se targuer d’être le premier bailleur de fonds en matière d’aide au développement, c’est en partie grâce au portefeuille britannique. Au sein du Fonds européen de développement (FED), principal instrument de l’aide au développement de l’UE à destination des pays Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP), le Royaume-Uni est le troisième plus gros contributeur derrière l’Allemagne et la France. Sur la période 2014-2020, il s’est ainsi engagé à fournir près de 4,484 milliards d’euros, soit 14,7 % de l’aide totale.
« Avec ce Brexit, la force de frappe européenne en matière d’aide au développement des pays africains sera certainement amoindrie, précise Christian Liongo. Mais ça ne va pas empêcher la Grande-Bretagne de continuer d’apporter sa contribution. Au contraire. Comme l’aide au développement est une arme politique, et vu le passé colonial des Britanniques, ils voudront sans doute augmenter leur influence en Afrique. Il ne serait pas étonnant que leur contribution augmente en utilisant non plus les canaux européens, mais britanniques. »
Vers un partenariat bilatéral plus direct ?
En sortant de l’UE, la Grande-Bretagne ne versera plus sa contribution au budget européen (11,3 milliards d’euros en 2014). Une somme qu’elle pourra utiliser pour imaginer des accords plus directs, bilatéraux avec des pays africains dans lesquels elle aura un intérêt propre, comme le Ghana ou le Nigeria, son premier partenaire économique en Afrique de l’Ouest.
« L’UE va perdre sur ce plan. La Grande-Bretagne aura une autonomie qui lui permettra de décider rapidement et surtout de défendre des intérêts propres, ciblés. Son aide et ses accords auront donc plus d’impact, analyse Thierno Seydou Diop, consultant en affaires européennes à Bruxelles et spécialiste des relations entre l’UE et l’Afrique chez Schuman Associates. D’autant plus en s’alliant avec des pays comme le Nigeria, qui se sont toujours montrés réticents à signer des accords avec l’UE. »
Incertitude sur les accords commerciaux
Nul ne peut prédire une sortie ou non des Britanniques des principaux accords commerciaux, tels que l’accord de Cotonou – texte régissant une bonne partie de la coopération et des relations commerciales entre l’Union européenne et l’Afrique. Tout dépendra du scénario de sortie de l’Union choisi au terme de discussions qui pourraient prendre plusieurs années.
« Le Brexit envoie tout de même un signal, remarque Thierno Seydou Diop. La Grande-Bretagne a été parmi les artisans des grands accords commerciaux entre l’Union et l’Afrique, décriés pour leur ambivalence. Le fait qu’un des capitaines quitte le navire montrerait l’échec de ces accords et permettrait peut-être une nouvelle approche dans les négociations. »
Ce que l’Afrique peut en tirer
Pour M. Chinedu Madichie, conseiller principal au sein de l’African Diaspora Network-Europe (ADNE), organisme regroupant la diaspora africaine à Bruxelles, il est encore trop tôt pour dire si l’impact d’un Brexit sur les relations économiques entre l’Afrique et l’UE sera important.
« L’Afrique doit commencer à réfléchir aux capacités à mobiliser afin de tirer parti des opportunités qui pourraient naître dans les années à venir », ajoute-t-il. Lui, à l’instar de Christian Liongo et de Thierno Seydou Diop, voit dans le Brexit une chance à saisir pour l’Afrique.
« Le Brexit est une opportunité de prospérité pour les agriculteurs africains, qui pourraient échapper à la politique agricole commune européenne, qui a surtout favorisé les Européens et grandement contribué au maintien du continent africain dans la pauvreté. »
Plus largement, les trois experts espèrent qu’un Brexit sera l’occasion pour l’Afrique de négocier des accords avec des clauses plus avantageuses. « Ou moins défavorables, précise Christian Liongo. De toute façon, il sera toujours préférable pour l’Afrique de demain de négocier avec d’un côté l’UE et de l’autre la Grande-Bretagne plutôt qu’avec un seul bloc parlant d’une seule et même voix. »