Quelles conséquences concrètes en cas de « Brexit » ?
Quelles conséquences concrètes en cas de « Brexit » ?
Par Jérémie Baruch
Que se passerait-il concrètement si le Royaume-Uni votait pour sa sortie de l’Union européenne ? Quelles conséquences pour les expatriés ou pour l’Europe ? Réponses à vos questions.
Matériel électoral destiné au référendum, à Edimbourg, le 22 juin 2016. | CLODAGH KILCOYNE / REUTERS
Les Britanniques votent jeudi 23 juin pour ou contre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Qu’impliquerait cette sortie si le camp du « Brexit » (contraction de « Britain » et « Exit ») venait à l’emporter ?
David Cameron quittera-t-il son poste en cas de victoire du « Leave » ?
Cela modifierait-il l’équilibre des pouvoirs au sein de l’UE ?
Faudrait-il un visa pour voyager ou travailler au Royaume-Uni ?
Pourra-t-on encore acheter des « toffees » chez Marks & Spencer ?
Est-ce que l’anglais restera la langue de travail de l’UE si le Royaume-Uni en sortait ?
Quel accord de libre-échange le Royaume-Uni pourrait-il négocier ?
1. Quand le Royaume-Uni sortirait-il officiellement de l’UE ? A quoi ressemblerait le calendrier de sortie ?
Le résultat du référendum sur le Brexit devrait être connu dans la nuit de jeudi au vendredi 24 juin, et sera officiellement donné à la mairie de Manchester dans la matinée. Sur la base des prédictions des fonds de placement financiers, qui ont commandé des sondages pour anticiper le résultat, les principaux médias britanniques pourraient même annoncer un résultat dès 22 heures, quand les derniers bureaux de vote ferment. Des recomptes sont possibles avant la publication des résultats, mais les résultats sont finaux une fois annoncés, aucune disposition particulière n’ayant été prévue pour des recomptes a posteriori.
Le résultat d’un vote par référendum n’est pas juridiquement contraignant. Néanmoins, le premier ministre, David Cameron, a précisé devant la Chambre des communes que, « si les Britanniques votaient “leave”, [ils] s’attendraient à juste titre que le processus de retrait démarre tout de suite ».
Pour que le Royaume-Uni quitte l’UE, il doit formellement annoncer ses intentions lors d’un Conseil européen, comme décrit dans l’article 50 du traité de Lisbonne. Cela tombe bien, un Conseil est organisé le 28 et 29 juin, et l’un des principaux points à l’ordre du jour est le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE. Une période de deux ans est prévue pour préparer la sortie, mais elle peut être raccourcie si un accord est trouvé (ce qui semble peu probable). Elle peut aussi être allongée, mais il faut pour cela obtenir l’unanimité des Etats européens, faute de quoi le Royaume-Uni se retrouverait sans accords commerciaux ni accords préférentiels de libre circulation.
Commenceraient alors de longues négociations sur les modalités du désengagement britannique, notamment concernant un éventuel accès au Marché unique. Le ministère des affaires étrangères britannique a annoncé que les négociations pourraient mener à plus d’une décennie d’incertitude, rappelant que, pour les traités commerciaux de grande ampleur comme les accords entre l’UE et le Canada, les tractations ont pris des années. Ces accords ne sont d’ailleurs pas encore ratifiés.
2. Un pays qui quitte l’UE, serait-ce une première ?
Ce serait effectivement la première fois qu’un Etat membre de l’UE décide d’utiliser l’article 50. En revanche, le Groenland, qui a obtenu un statut d’autonomie en 1975 (il était auparavant rattaché au Danemark en tant que comté d’outre-mer), a voté pour sortir de la Communauté économique européenne en 1982. Ce retrait a été ratifié en 1985, et le Groenland est parvenu depuis lors à maintenir des exemptions douanières, notamment concernant la pisciculture. Il est dorénavant un territoire d’outre-mer associé à l’UE.
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3. David Cameron quittera-t-il son poste en cas de victoire du « Leave » ?
Dans un entretien au Times Magazine, David Cameron a déclaré qu’il resterait à son poste de premier ministre, expliquant que le référendum n’était « pas un verdict sur sa personne, quelle que soit l’issue du vote. C’est un verdict sur une question ». Avant les élections de 2015, il avait aussi rappelé que ce serait son dernier mandat en tant que premier ministre.
Néanmoins, la situation de M. Cameron, défenseur du « Remain », serait des plus précaires : au sein de son parti, le Parti conservateur, de nombreuses voix s’élèvent pour demander sa démission en cas de Brexit, et il n’est pas impossible qu’il doive faire face à un vote de défiance au Parlement. Il suffit de 50 parlementaires pour déclencher un tel vote.
Si M. Cameron choisissait tout de même de démissionner, les tories devraient alors choisir un leader, qui deviendrait automatiquement premier ministre. Mais même s’il estime être le plus à même de négocier une bonne porte de sortie pour son pays en cas de Brexit, il fera néanmoins face à des tenants du Brexit ayant le vent en poupe. Le porte-parole des pro-Brexit et ancien maire de Londres, Boris Johnson, est le prétendant le plus sérieux pour prendre la place de premier ministre.
4. Cela modifierait-il l’équilibre des pouvoirs au sein de l’UE ?
Selon une étude du cabinet de conseil Global Counsel, l’équilibre des pouvoirs risque d’être modifié au sein du Conseil européen, notamment en ce qui concerne les débats de politique économique. Selon des règles de vote introduites en novembre 2014, une minorité de blocage au Conseil européen doit être prise par au moins quatre Etats membres et représenter au moins 35 % de la population totale de l’UE.
Si le Royaume-Uni sort de l’UE, les tenants d’une ligne plus libérale perdent un pays très peuplé. Et le « bloc libéral », que composaient notamment le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou encore la République tchèque, passerait de 25 % à 15 % de la population totale de l’Union européenne. Régulièrement, l’Allemagne rejoignait ce bloc pour dépasser le seuil de 35 % nécessaire à un veto. Il faudrait désormais l’appui de pays traditionnellement plus conservateurs pour poursuivre cette stratégie.
Par ailleurs, le véritable moteur de l’UE, notamment sur le plan économique, est un jeu d’influence à trois entre l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Sans ce dernier, avec qui il pouvait être un allié de circonstances, Berlin se retrouverait face à Paris sans véritable contrepoids. La convergence des positions entre France et Allemagne deviendrait encore plus nécessaire – et l’influence de Paris s’en trouverait renforcée.
5. Faudrait-il un visa pour voyager ou travailler au Royaume-Uni ?
Tant que le Royaume-Uni est dans l’Union européenne, les règles concernant la libre circulation des personnes restent inchangées : n’étant pas un pays de la zone Schengen, il faudra toujours un document d’identité prouvant son appartenance à un pays de l’Union européenne pour voyager outre-Manche et y travailler.
Les choses se corseraient à partir du moment où le Brexit serait effectif. Selon les modalités négociées entre le Royaume-Uni et les pays membres de l’UE, il se peut qu’il faille un visa pour voyager dans le pays. Si le Royaume-Uni arrive à négocier un accord lui permettant de rester au sein du marché unique, il est très probable que la libre circulation des personnes soit acquise. Mais, il est aussi possible que le gouvernement britannique impose des restrictions liées au permis de travail ; la réciprocité s’appliquant, les Britanniques auraient besoin d’un visa pour travailler dans un pays de l’UE, et vice-versa.
6. Pourra-t-on encore acheter des toffees chez Marks & Spencer ?
Evidemment. En revanche, ils pourraient, à terme, coûter plus cher, selon ce qui a été négocié : des taxes douanières pourraient faire augmenter le prix de ces friandises. L’ancien PDG de Marks & Spencer, Stuart Rose, proeuropéen convaincu, a argué qu’un Brexit provoquerait une augmentation des prix, au Royaume-Uni et ailleurs.
7. L’anglais restera-t-il la langue de travail de l’UE si le Royaume-Uni en sortait ?
Selon toute vraisemblance, oui. Si les 24 langues des pays de l’UE sont acceptées en tant que langue de travail des institutions européennes, le français et l’anglais sont les deux le plus fréquemment usitées. Néanmoins, l’anglais est une langue véhiculaire à travers l’Europe : l’anglais serait parlé par 38 % des Européens dont ce n’est pas la langue maternelle, ce qui en fait la langue la plus parlée au sein de l’UE, selon un rapport de la Commission européenne de 2012.
8. Est-ce que l’Ecosse va tenter de rester dans l’UE ?
Nicola Sturgeon, la dirigeante du Parti national écossais (SNP), est partisane d’un vote pour rester dans l’Union européenne. A plusieurs reprises, elle a affirmé vouloir organiser un nouveau référendum, si jamais le Royaume-Uni sortait de l’Union européenne.
En effet, selon tous les sondages actuels, les Ecossais sont très majoritairement pour rester dans l’UE, et un vote pro-Brexit modifierait suffisamment le paysage politique pour légitimer un référendum sur une sécession écossaise. « Ce serait fondamentalement antidémocratique que l’Ecosse se retrouve en dehors de l’UE, si nous avons voté pour rester dans l’UE lors du référendum » a estimé Mme Sturgeon.
9. Que deviendraient les programmes financés par l’UE au Royaume-Uni, les subventions cesseraient-elles ?
Le Royaume-Uni bénéficie de plusieurs milliards d’euros en programmes financés par l’Union européenne en faveur de ses membres. Si Londres devait sortir de l’UE, il risquerait effectivement de ne plus percevoir les aides afférentes. Tout le calcul des partisans et des adversaires du Brexit consiste notamment à savoir si le pays serait financièrement bénéficiaire ou non : d’un côté, la contribution britannique à l’UE, soit 250 millions de livres par semaine, environ 325 millions d’euros ; de l’autre, pas de barrières douanières ni de subventions garanties par l’UE.
10. Quel accord de libre-échange le Royaume-Uni pourrait-il négocier ?
S’il quittait l’UE, le Royaume-Uni devrait nécessairement renégocier des accords d’échanges économiques avec l’UE. Il pourrait s’appuyer sur différents précédents :
L’option norvégienne
La Norvège fait partie de l’Espace économique européen (EEE), qui bénéficie d’un accès complet au marché unique. En revanche, elle doit obéir à la plupart des règles de l’Union européenne, dont la libre circulation des biens et des personnes. Elle contribue aussi au budget européen. Elle ne bénéficie pas des 50 différents accords de libre-échange de l’Union européenne, mais en tant que membre de l’Association européenne de libre-échange (AELE), comme tous les pays de l’EEE, il peut négocier ses propres accords commerciaux.
L’option suisse
La Suisse fait partie de l’AELE, mais à la différence de la Norvège, elle a négocié des accords bilatéraux avec l’UE. Elle contribue au budget européen et obéit aussi à la libre circulation des biens et des personnes. Certaines de ses industries, dont l’industrie bancaire, ont des accès restreints à l’Union européenne. En revanche, elle est libre de négocier des accords bilatéraux avec des pays tiers.
L’option canadienne
L’Accord économique et commercial global (CETA) implique la levée des droits de douane sur de nombreux produits à l’importation ou à l’exportation entre le Canada et l’Union européenne. Les négociations ont duré plus de sept ans et l’accord n’est pas encore ratifié. Si Londres choisissait cette option, elle ne serait probablement pas en position de force : seuls 6 % des biens de l’UE sont exportés au Royaume-Uni. De plus, le CETA ne garantit pas la levée des barrières douanières sur les services.
L’option de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)
Si aucun deal n’était trouvé, ou en attendant qu’il le soit, le Royaume-Uni devrait avoir recours aux règles de base de l’OMC, comprenant des obstacles douaniers mais aussi l’évaluation en douane des marchandises ou le contrôle de l’origine des produits.
Quelle que soit l’option choisie, il y a de fortes chances que différents pays de l’UE en profitent pour affaiblir, à leur avantage, l’un des domaines économiques où le Royaume-Uni est réputé. Par exemple, l’UE pourrait proposer un accord de libre-échange qui ne concernerait que les biens manufacturés, ce qui contraindrait la City à perdre de l’influence et des parts de marché dans les secteurs financiers et bancaires.
11. Qu’est-ce que ça changerait pour les migrants à Calais ?
Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, a prévenu : en cas de Brexit, « la France ne retiendrait plus les migrants à Calais ». Conclus en 2003, les accords du Touquet visent à renforcer les contrôles aux frontières entre la France et le Royaume-Uni, et – à l’époque – de mettre fin au centre d’accueil de Sangatte, en généralisant les contrôles opérés par des policiers anglais sur le sol français. De fait, des milliers de migrants se retrouvent bloqués dans la « jungle » de Calais, en attendant une hypothétique traversée vers la Grande-Bretagne
L’accord du Touquet est un accord bilatéral, qui n’a aucun lien avec l’Union européenne, mais il peut être dénoncé. De fait, sa remise en cause est brandie comme une menace par les « remainers », en premier lieu David Cameron. Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur français, a toutefois repris M. Macron, en expliquant qu’il n’y avait pas de raisons valables d’annuler ces accords.