Le directeur du FBI James Comey à Washington le 7 juillet. | © Gary Cameron / Reuters / REUTERS

Editorial du « Monde ». Décidément, la politique américaine n’est pas à la fête. Depuis près d’un an, Donald Trump a imprimé à la campagne pour l’élection présidentielle du 8 novembre une tournure de pugilat de bas étage qui ne fait pas honneur à la plus grande démocratie occidentale. C’est déjà grave en soi. Dans un monde où la liberté politique est partout en recul, l’exemplarité compte plus que jamais : pour rayonner, la démocratie doit faire envie. Mais le directeur du FBI, James Comey, a ajouté à cette campagne une touche finale qui ressemble à une invraisemblable ingérence de la police fédérale dans le processus électoral.

L’affaire ne relève pas de la théorie du complot – une forme de paranoïa dont M. Trump, le candidat républicain, semble volontiers souffrir. Rien ne permet de dire que M. Comey, qui est d’obédience républicaine, ait délibérément voulu faire perdre la candidate démocrate, Hillary Clinton, en relançant une affaire la concernant peut-être, à onze jours du vote. M. Comey a la réputation d’être un homme intègre. Il n’empêche : son intervention a réduit l’avance de la démocrate dans les sondages et permis à M. Trump de relancer une campagne en perdition.

De quoi s’agit-il ? Le 28 octobre, M. Comey a adressé une lettre au Congrès dans laquelle il annonce l’ouverture de nouvelles investigations dans l’affaire des courriels d’Hillary Clinton du temps où elle était secrétaire d’Etat (2008-2012). Début juillet, il avait déclaré au Congrès que Mme Clinton avait fait preuve d’une « négligence flagrante » en utilisant un serveur privé pour ses e-mails au département d’Etat. Mais, après avoir passé en revue des dizaines de milliers d’entre eux, il avait estimé qu’il n’y avait pas matière à poursuivre Mme Clinton pour avoir mis en péril des secrets d’Etat.

Dans sa lettre, le patron du FBI ne précise pas que les nouvelles investigations concernent des courriels de Mme Clinton récemment découverts par hasard, sur un ordinateur autrefois partagé par une de ses proches collaboratrices, Huma Abedin, avec son mari, Anthony Weiner, dont elle est aujourd’hui séparée et qui fait l’objet d’une enquête pour textos inconvenants adressés à une mineure de 15 ans.

Le mal est fait

Au moment où il écrit au Congrès, M. Comey ne sait rien de ces courriels. Il est incapable de dire s’ils seront, après examen, de nature à relancer l’enquête close début juillet. Il ignore combien de temps il faudra pour les étudier. Le plus vraisemblable est qu’il s’agit de copies d’e-mails déjà examinés par le FBI. La plupart des hauts fonctionnaires de la police estiment que M. Comey, sur une base aussi ténue, n’aurait jamais dû laisser ainsi entendre, si près du scrutin, qu’il y avait peut-être matière à relancer l’enquête sur les courriels de Mme Clinton.

Sauf élément matériel substantiel, la tradition est de ne pas ouvrir d’enquête à deux mois d’un scrutin, pour éviter d’en influencer l’issue. M. Comey a enfreint cette jurisprudence. Il se défend en invoquant son devoir de compléter ce qu’il avait dit au Congrès cet été. Mais le mal est fait. Il a relégitimé ceux qui soupçonnent Mme Clinton d’avoir mis en danger des secrets d’Etat.

C’est une intervention flagrante dans la campagne. Elle sème le doute sur l’impartialité de la police fédérale. Elle ternira le vainqueur de l’élection, quel qu’il soit. Loin d’agir en serviteur de l’Etat, James Comey a ranimé le souvenir de son lointain prédécesseur J. Edgar Hoover. Ce n’est pas glorieux.