Accès aux soins : la « fracture sanitaire » s’aggrave
Accès aux soins : la « fracture sanitaire » s’aggrave
Par François Béguin
Selon l’UFC-Que choisir, l’offre de médecins au « tarif sécu » s’est dégradée pour la moitié de la population depuis 2012.
Un médecin examine une patiente, à Godewaersvelde (Nord). | PHILIPPE HUGUEN / AFP
Déserts médicaux, dépassements d’honoraires… Dans une étude publiée mercredi 29 juin, l’UFC-Que choisir étrille le bilan de la gauche en matière d’accès aux soins. Selon les calculs de l’association de consommateurs, l’accès géographique ou financier à un médecin généraliste, un gynécologue, un ophtalmologiste ou un pédiatre en 2016 s’est « dégradé pour plus de trente millions de Français » par rapport à 2012, date de la précédente étude. Son président, Alain Bazot, considère même que le pays se trouve aujourd’hui en « état d’urgence sanitaire », fustigeant « l’échec » du gouvernement et de l’Assurance-maladie en la matière.
Des chiffres éloquents viennent nourrir ce réquisitoire, qui tombe en pleine phase finale des négociations conventionnelles entre Assurance-maladie et syndicats de médecins libéraux. En quatre ans, plus du quart (27 %) des Français ont vu diminuer le nombre de médecins généralistes accessibles en moins de 30 minutes de voiture. Au cours de cette même période, près de six Français sur dix (59 %) ont connu une réduction du nombre de gynécologues accessibles à moins de 45 minutes de route. Une tendance jugée « préoccupante ». Et pour les quatre spécialités étudiées, seuls 11 % à 19 % des patients ont vu leur situation s’améliorer depuis 2012.
« De toute évidence, les politiques d’incitation financière accordées aux médecins pour les convaincre de s’installer dans les zones sous-dotées sont un échec », notent les auteurs du rapport, relevant que d’une façon générale « les médecins sont moins bien répartis sur le territoire qu’en 2012 » et qu’« aucun département n’est épargné » par ce phénomène.
Pour dresser ce constat, l’UFC-Que choisir a réitéré une opération déjà menée en 2012. En début d’année, elle a « aspiré » – sans son accord – l’annuaire en ligne de l’Assurance-maladie qui recense de façon exhaustive la localisation et les tarifs des médecins libéraux français. Excluant de fait les médecins salariés par un établissement de santé – et c’est une des limites de l’étude –, elle a ensuite croisé ces données avec la répartition de la population sur le territoire, afin d’établir une carte des « fractures sanitaires ». Une zone avec un « accès difficile aux médecins » se caractérise ainsi par une densité médicale pour 100 000 habitants comprise entre 30 % et 60 % en dessous de la moyenne nationale. En deçà de 60 %, la zone est qualifiée de désert médical.
« La situation se détériore très nettement »
Résultat : en 2016, 14,6 millions de Français, soit 23 % de la population métropolitaine, connaissent des difficultés pour consulter un médecin généraliste à moins de 30 minutes de route de leur domicile. Parmi eux, 3,2 millions de personnes (5 % de la population) vivent même dans un désert médical, relève le rapport. Et 20 millions de personnes manquent de spécialistes accessibles en moins de 45 minutes. Un tiers de la population peine à trouver un pédiatre, 30 % un gynécologue et 28 % un ophtalmologiste. Pour les pédiatres, « des régions entières, notamment dans le centre et le sud-ouest de la France, sont en désert médical pour cette spécialité ». Les ophtalmologistes, eux, demeurent la spécialité « la mieux répartie, même si des territoires entiers en manquent », comme les Pyrénées, le sud du Massif central ou le Centre-Est.
Mais pour l’UFC-Que choisir, l’accès aux soins passe également par l’accès à des médecins pratiquant les tarifs de la Sécurité sociale, sans dépassement d’honoraires. Et dans ce cas de figure, « la situation se détériore très nettement », en particulier pour les spécialistes. Aujourd’hui, 45 % de la population manque de pédiatres sans dépassement d’honoraires. Plus de 80 % vit dans une zone déficitaire en ophtalmologistes ou gynécologues pratiquant les tarifs de la Sécu.
« Si l’accès aux pédiatres sans dépassement reste possible dans la plupart des grandes villes, les gynécologues et ophtalmologistes sans dépassement sont une denrée rare sur tout le territoire, y compris les grandes agglomérations », relèvent les auteurs de l’étude. Dans ces zones denses, « si l’offre médicale est abondante, l’offre au tarif de la Sécurité sociale est très insuffisante pour couvrir les besoins ». Pour eux, sur une grande partie du territoire, accéder aux soins « sans discrimination financière devient chimérique ».
Les limites de la liberté d’installation
L’étude de l’UFC montre également une « inexorable progression » des dépassements d’honoraires depuis 2012. En quatre ans, le prix moyen d’une consultation aurait ainsi progressé de 5 % chez les gynécologues (pour s’élever à 45,5 euros) ou de 8,8 % pour les pédiatres (à 36,5 euros), alors même que l’inflation n’a été que de 1 % au cours de cette période. « Une étude comme celle-ci devrait conforter le ministère de la santé et lui donner des arguments pour faire bouger les choses », juge Alain Bazot, qui dénonce une « absence de volonté politique sur ce sujet ». « Où sont les vertus de la liberté d’installation quand l’état d’accès aux soins se dégrade ?, demande-t-il. Il est temps de changer de logique. Il faut regarder l’intérêt de tous et pas seulement l’intérêt d’une catégorie professionnelle. »
Appelant les pouvoirs publics à « s’attaquer aux causes profondes de la fracture sanitaire », l’UFC plaide pour un encadrement beaucoup plus strict des dépassements d’honoraires, en interdisant aux nouveaux médecins de s’installer en secteur 2, où les dépassements d’honoraires sont libres. L’association demande également que « toute nouvelle installation dans un territoire où l’offre est surabondante ne puisse se faire qu’au tarif de la Sécurité sociale ».