La Cour des comptes doute des prévisions de réduction du déficit du gouvernement
La Cour des comptes doute des prévisions de réduction du déficit du gouvernement
Par Patrick Roger
La Cour des comptes estime, mercredi 29 juin, que les prévisions de réduction du déficit public présentées en avril sont « affectées de fragilités majeures ».
Michel Sapin, ministre des finances, le 24 juin. | ERIC PIERMONT / AFP
La Cour des comptes émet de sérieux doutes sur la capacité du gouvernement à réaliser la trajectoire de réduction du déficit public inscrite dans le programme de stabilité qu’il a présenté en avril. Celui-ci prévoit pour 2016 un déficit à 3,3 % du produit intérieur brut (PIB), qui devrait être ramené à 2,7 % en 2017 puis 1,9 % en 2018 et 1,2 % en 2019. Ces prévisions, estime la Cour dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques publié mercredi 29 juin, sont « affectées de fragilités majeures ». Manière pittoresque de dire qu’elle n’y croit guère.
Certes, reconnaissent les magistrats financiers, le déficit public constaté en 2014 et en 2015 a été plus réduit que prévu en loi de programmation : 4 % au lieu de 4,4 % en 2014 et 3,6 % au lieu de 4,1 % en 2015. Encore faut-il noter que cette réduction provient pour les deux tiers des collectivités territoriales, pour des raisons liées à la fois au recul des investissements en période de cycle électoral et aux contraintes financières auxquelles elles ont été soumises par la baisse des dotations de l’Etat. Le déficit de l’Etat, lui, est resté quasiment stable. En outre, note la Cour, « depuis 2012, la réduction du déficit public a résulté pour moitié de la diminution de la charge d’intérêts [du fait du maintien de taux d’intérêt très bas] : la réduction du solde primaire (hors charge d’intérêts), a ainsi été deux fois plus faible que celle du solde effectif (0,7 point contre 1,3 point) ».
Pour 2016, la prévision de réduction du déficit reste « atteignable » mais il n’y a plus guère de marges de manœuvre à la suite des dépenses nouvelles annoncées depuis le début de l’année, malgré les crédits mis en réserve. Pour la Cour, « le respect de la norme de dépenses en valeur de l’Etat paraît d’ores et déjà compromis ». Elle évalue « entre 3,2 et 6,4 milliards d’euros » le risque de dépassement par rapport aux crédits ouverts en loi de finances. « Le respect de l’objectif de déficit exige une gestion très stricte des dépenses et ne laisse aucune place à des décisions nouvelles conduisant à des hausses de dépenses », notent les magistrats financiers.
Progression de la masse salariale
Le risque est encore plus élevé sur les années à venir, et ce dès 2017. La plupart des dépenses supplémentaires annoncées depuis le début de l’année – notamment en ce qui concerne la masse salariale – « pèseront en effet essentiellement en 2017 et continueront de monter en charge les années suivantes ». Atteindre l’objectif de 1,2 point de déficit en 2019, comme le prévoit le programme de stabilité, supposerait une baisse sur trois ans de la dépense publique en volume, hors charges d’intérêts, ce qui n’a encore jamais été constaté. Depuis 2012, le volume de la dépense croît de 1 % environ en moyenne.
Or, souligne la Cour, « les seules décisions et orientations connues à ce jour conduisent au contraire à accroître la dépense publique ». En clair, les mesures nouvelles qui vont accroître la dépense sont bien identifiées mais on ne voit pas celles qui vont permettre de la réduire. Ainsi, la masse salariale de l’Etat pourrait progresser de 2 à 3 % en 2017, du fait du dégel du point d’indice, de la réforme des grilles indiciaires, de l’addition de mesures catégorielles importantes et de l’évolution des effectifs de l’Etat.
Les mesures annoncées par le gouvernement auront également des répercussions sur les collectivités territoriales et les organismes de Sécurité sociale. Dès 2017, la progression de la masse salariale serait de plus de 3 milliards d’euros pour l’ensemble des administrations publiques. Au total, la hausse programmée des dépenses militaires, les mesures pour l’emploi et en faveur des jeunes, l’allégement de la baisse des dotations au bloc communal, les mesures indiciaires dans la fonction publique « vont pousser les dépenses à la hausse à hauteur d’environ 0,3 point de PIB en 2017 », estime la Cour.
Baisse réelle de 12 milliards d’euros
D’où de réelles interrogations sur la promesse des 50 milliards d’euros d’économies en trois ans affichés par le gouvernement. Déjà, celui-ci n’a cessé de procrastiner en ce qui concerne l’étalement de ce plan d’économies sur les années 2015 à 2017. Les 21 milliards d’euros d’économies en 2015 initialement prévus dans la loi de finances pour 2015 ont ainsi progressivement été ramenés à 18,6 puis 18,1 milliards dans les programmes de stabilité d’avril 2015 et avril 2016. Inversement, pour 2017, ces montants sont passés respectivement de 14,5 milliards à 15,4 puis 18,7 milliards. Le montant d’économies constaté par la Cour en 2015 est très largement inférieur aux hypothèses retenues par le gouvernement : son examen conclut à une baisse réelle de 12 milliards d’euros.
La Cour des comptes soulève un autre facteur de doutes sur la réalité de ces économies. Par convention, celles-ci sont évaluées par rapport à la croissance tendancielle des dépenses publiques. Toutefois, relèvent les magistrats, « l’examen des hypothèses retenues par le gouvernement révèle qu’elles conduisent à une évaluation plutôt élevée de la croissance tendancielle et à majorer d’autant les économies affichées ». Pour la Cour, il apparaît clairement que l’effort structurel de 0,5 point de PIB exigé par les traités européens aux pays en déficit excessif n’est pas atteint. En 2015, cet effort structurel aura été inférieur d’environ 0,3 point de PIB, soit 6 milliards d’euros, à celui qui aurait été nécessaire. Un bilan sévère.