AUREL

Les candidats à un poste de fonctionnaire ne sont pas à l’abri d’une discrimination, même quand, pour le décrocher, ils passent un concours. Ce constat, plutôt contre-intuitif, ressort d’une étude inédite, remise, mardi 12 juillet, à Manuel Valls. Réalisée par Yannick L’Horty, professeur à l’université de Paris-Est -Marne-la-Vallée, elle montre que les employeurs publics ne sont pas plus vertueux que les entreprises du secteur marchand. Une situation contraire aux principes républicains et « à la vocation sociale de la fonction publique », souligne le signataire de la recherche.

Les connaissances restent très lacunaires en matière de « discriminations dans l’accès à l’emploi public », d’après Yannick L’Horty. Son rapport cherche donc à mesurer le phénomène, en combinant « deux méthodes qui n’avaient encore jamais été appliquées en France » : l’exploitation de données sur des concours d’entrée dans la fonction publique d’Etat et la mise en œuvre de « tests de discrimination ».

La première approche repose sur un large panel statistique, qui « couvre plus de 400 000 candidats dans 90 concours relevant de cinq ministères » (affaires étrangères, intérieur, travail, éducation nationale, recherche). De cette masse d’informations, plusieurs enseignements peuvent être tirés. Le fait de ne pas être né en France métropolitaine « diminue significativement les chances de réussite » aux épreuves écrites, appelées aussi épreuves d’admissibilité, dans sept des « huit ensembles de concours » passés au crible. « La seule exception est le concours national de gardien de la paix où les candidats nés à l’étranger ou natif des DOM ne sont pas pénalisés », poursuit le rapport.

« Tests d’accès à l’information »

Sont également affectées les personnes qui résident dans « une ville à forte emprise ZUS », c’est-à-dire celles dont au moins un quart de la population habite en zone urbaine sensible : ce paramètre produit « un effet négatif et significatif » dans quatre ensembles de concours sur les quatorze étudiés.

A l’inverse, les Parisiens bénéficient « d’un net avantage sur les probabilités de succès aux épreuves écrites » dans douze ensembles de concours sur quatorze. Un résultat qui découle peut-être du fait que « les centres de préparation aux concours les plus réputés » sont implantés dans la capitale « et qu’ils drainent les meilleurs candidats ». Autre explication possible, avancée par Yannick L’Horty : les épreuves, pour devenir fonctionnaire d’Etat, se déroulent souvent à Paris, « ce qui peut pénaliser les candidats non parisiens ».

Pour compléter la vue d’ensemble, des « tests d’accès à l’information » ont été conduits auprès de la police nationale et d’hôpitaux, en envoyant des « demandes fictives » de renseignements sur les procédures à suivre pour briguer un poste. Résultat : il n’y a pas d’écart significatif entre le candidat « d’origine franco-française » (reconnaissable par son prénom) et celui « d’origine maghrébine » qui cherchent à s’informer sur le métier d’adjoint de sécurité ; le pourcentage de « réponses positives » à leurs démarches n’est pas loin d’être équivalent. En revanche, la différence est notable entre une personne qui se prénomme Laure et une autre qui s’appelle Anissa, s’agissant du métier d’infirmier.

« Raccourcis cognitifs » et « erreurs de jugement »

Des « tests d’accès à l’emploi » ont également été réalisés par l’envoi de 3 258 CV en réponse à 1 086 offres de postes. Là encore, les conclusions sont éloquentes : les personnes issues de l’immigration et celles qui demeurent en ZUS sont « pénalisées dans la fonction publique hospitalière et dans la fonction publique territoriale ». Ainsi, pour un poste de responsable administratif dans une collectivité locale, le candidat « d’origine française » domicilié dans un quartier relevant de la politique de la ville a « un taux d’accès aux entretiens d’embauche » inférieur de onze points à celui d’un candidat « d’origine française » vivant « dans un quartier neutre ». L’écart est de quatorze points pour une personne « d’origine maghrébine », par rapport à une autre « d’origine française », s’il s’agit d’un emploi d’aide-soignante dans un hôpital.

Les causes du problème sont multiples, pour Yannick L’Horty, qui insiste sur l’idée selon laquelle « la grande majorité des discriminateurs n’ont même pas conscience de discriminer » : chaque employeur est, en effet, « susceptible de mobiliser malgré lui des raccourcis cognitifs le conduisant à des erreurs de jugement ». Le contexte joue aussi beaucoup : si le nombre de postes proposés est faible, la sélectivité est d’autant plus grande, ce qui accroît le risque de traitements inégalitaires.

Garde-fous

Enfin, la façon dont les recrutements sont organisés exerce aussi une influence : pour les contractuels, c’est, bien souvent, l’employeur qui effectue directement le choix. Le « principe d’anonymat » et « le caractère collectif du jury » ne s’appliquent pas, en l’espèce, alors qu’ils constituent « autant de garde-fous antidiscrimination ».

Aussitôt après s’être vu remettre le rapport de Yannick L’Horty, Manuel Valls a indiqué, mardi, dans un communiqué, que le gouvernement va agir « sur tous les maillons de la chaîne de recrutement ». Les « services d’orientation aux carrières de la fonction publique » seront davantage sensibilisés à ce sujet. Et « les écoles de service public » (ENA, etc.) seront tenues « de mettre en place des plans d’ouverture à la diversité d’ici la fin de l’année ». En outre, le nombre de classes préparatoires intégrées, « réservées aux candidats d’origine modeste », sera doublé. Enfin, de « nouvelles voies d’accès à la fonction publique » vont être ouvertes, notamment en créant un « contrat en alternance pour les jeunes sans emploi » de quartiers populaires, de zones rurales ou des outre-mers.