La France sévèrement condamnée pour la rétention d’enfants d’étrangers
La France sévèrement condamnée pour la rétention d’enfants d’étrangers
Par Jean-Baptiste Jacquin
Le Cour européenne des droits de l’homme sanctionne la France pour mauvais traitements dans cinq affaires différentes. François Hollande avait promis en 2012 de mettre fin au placement d’enfants dans des centres de rétention.
Au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne). | OLIVIER JOBARD/M.Y.O.P. POUR LE MONDE
Journée noire pour la France. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a annoncé mardi 12 juillet sa condamnation dans sept dossiers différents. Cinq d’entre eux concernent le placement d’enfants dans des centres de rétention administrative (CRA) pour étrangers en situation irrégulière en instance d’expulsion. La France est ainsi cinq fois sanctionnée pour avoir violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme selon lequel « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Les magistrats de Strasbourg ne condamnent pas en tant que tel le recours à des mesures de placement de mineurs, accompagnés de leurs parents ou non, en centre de rétention. Ils ont examiné ces dossiers en se préoccupant de « la conjonction de trois facteurs : le bas âge des enfants, la durée de leur rétention et le caractère inadapté des locaux concernés à la présence d’enfants ». Ils en ont conclu que ces enfants avaient fait l’objet de mauvais traitements.
La France déjà sanctionnée par le passé
Ces condamnations par la CEDH résonnent d’autant plus que le problème n’est pas nouveau. Une affaire similaire (l’arrêt Popov contre France), à laquelle se réfèrent d’ailleurs les cinq arrêts de mardi, a déjà valu à la France d’être sanctionnée le 19 janvier 2012. Surtout, François Hollande avait alors annoncé parmi ses promesses de la campagne pour l’élection présidentielle qu’il mettrait fin au placement de familles avec enfants dans les centres de rétention administrative. D’ailleurs, dès juillet 2012, une circulaire du ministre de l’intérieur, Manuel Valls, demandait aux préfets de recourir à l’assignation à résidence pour les mineurs plutôt qu’au placement en rétention.
Cette volonté politique a porté ses fruits dans un premier temps. Selon les chiffres de la Cimade, association spécialisée dans l’assistance aux étrangers, le nombre d’enfants enfermés dans les CRA est ainsi passé de 312 en 2011 à 99 en 2012. Les chiffres ont continué leur chute spectaculaire… avant de repartir à la hausse depuis deux ans. En 2015, ce sont 105 enfants qui ont été placés avec leurs parents en CRA, soit plus du double des 45 recensés en 2014. Sur les premiers mois de 2016, 67 enfants ont déjà connu le même sort. Ces données concernent la métropole et ne tiennent pas compte, par exemple, de la situation dramatique de Mayotte, où quelque 4 300 enfants sont passés en 2015 par des centres de rétention.
Un univers carcéral, de murs, de barbelés
« Il n’y a pas de cadre légal en France qui permettrait d’encadrer la façon dont ces enfants sont privés de liberté », déplore Flor Tercero. Cette avocate a défendu devant la CEDH un couple d’Arméniens qui, avec leur fils de 2 ans, a fui son pays pour la France en 2009 par crainte de persécutions politiques. Ils sont restés dix-huit jours, début 2012, dans le centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu. Un centre habilité à recevoir des familles, avec des chambres adaptées. Mais, fait remarquer la CEDH, ce CRA situé en bordure des pistes de l’aéroport de Toulouse-Blagnac subit « des nuisances sonores particulièrement importantes qui ont conduit au classement du terrain en zone inconstructible ». Dans certains cas jugés mardi, les enfants avaient 2 ans et demi, 4 mois, ou encore 1 an, comme ce fils d’un couple russe d’origine tchétchène placé en rétention en octobre 2014.
Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade, dénonce le principe même du recours à la rétention. « Pour des raisons de confort administratif en matière d’expulsion, on enferme les gens deux jours avant le vol prévu », déplore-t-il, estimant que, même pour une brève durée, « cela reste une pratique maltraitante et contraire à l’intérêt de l’enfant qui se trouve plongé dans un univers carcéral, de murs, de barbelés, de policiers en armes et de vidéosurveillance ».
« Une pratique fragile, basée sur aucun texte »
Le défenseur des droits, Jacques Toubon, a de son côté demandé mardi dans un communiqué qu’il soit « immédiatement mis fin à la rétention des enfants ». Il affirme que la loi du 7 mars 2016 sur le droit des étrangers est « contraire à la Convention européenne des droits de l’homme ».
Pour M. Mas, cette loi, « censée encadrer l’enfermement des enfants, le légalise ». De fait, explique Mme Tercero, « la loi ne précise nulle part que la situation de l’enfant doit être examinée ». Or, dans le dossier qu’elle a défendu, la CEDH condamne également la France pour détention arbitraire. D’abord pour n’avoir pas recherché de solution alternative à la rétention, comme l’assignation à résidence. Ensuite parce que le droit au recours des personnes privées de liberté a été violé par la France en ce qui concerne l’enfant, sa situation n’ayant pas été prise en compte lors des recours déposés devant les juridictions françaises.
Depuis quelques années, les autorités ont fait en sorte que les rétentions administratives avant mesure d’éloignement n’excèdent pas quarante-huit heures. « Il s’agit d’une pratique fragile, basée sur aucun texte et qui ne tient que parce que la France se sait surveillée en ce moment par la CEDH et les ONG sur ce sujet », relativise Mme Tercero.