Le chancelier de l’Echiquier, George Osborne, a-t-il pesé dans la décision de l’administration Obama, en 2012, de ne pas poursuivre en justice le géant bancaire britannique HSBC, pourtant reconnu coupable de blanchiment d’argent de la drogue des cartels mexicain et colombien, ainsi que d’organisations en lien avec le terrorisme ?

Un groupe de parlementaires républicains, membres du comité sur les services financiers de la Chambre des représentants, a créé le trouble, de part et d’autre de l’Atlantique, lundi 11 juillet, en révélant les dessous politiques d’un scandale financier qui avait défrayé la chronique.

En dépit de la gravité des faits commis et reconnus par la banque (violation des lois anti-blanchiment américaines, des règles d’embargo…), l’affaire avait abouti, le 11 décembre 2012, à une transaction entre HSBC et les Etats-Unis, principalement constituée d’une amende de 1,9 milliard de dollars.

Eviter des secousses financières mondiales

Or, après trois années d’enquête, le rapport de près de 300 pages publié par les représentants au Congrès conclut à une décision prise sous influence par l’ex-procureur général des Etats-Unis (l’équivalent du ministre de la justice) Eric Holder, dans le but d’éviter des secousses financières mondiales.

Cette décision aurait été à la fois contraire à l’avis formulé sur le sujet par la section « blanchiment d’argent et confiscation de biens » du DOJ (Department of Justice, l’équivalent de notre ministère de la justice), favorable à une action en justice, et opaque. « Le DOJ n’a pas été franc avec le Congrès et les citoyens américains sur les ressorts de sa décision », accusent les auteurs du rapport.

Au cœur de leurs investigations, figure une lettre confidentielle signée de la main de M. Osborne, datée du 10 septembre 2012 – trois mois avant l’accord avec HSBC – et adressée à deux des personnalités les plus influentes de l’époque : l’ex-secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, et l’ex-président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Ben Bernanke.

Dans ce courrier, le ministre des finances du Royaume-Uni met en garde les autorités américaines contre le risque de poursuites judiciaires envers HSBC. « Une condamnation de HSBC conduirait le régulateur américain à se poser la question du maintien de sa licence bancaire aux Etats-Unis, écrit le conservateur. Or, l’éventualité que HSBC perde l’accès au dollar risquerait de compromettre son avenir et menacerait la stabilité économique et financière [mondiale], en particulier en Europe et en Asie. »

Dysfonctionnements du système financier mondial

M. Osborne précise : « (…) Il n’est pas dans mon intention d’interférer dans des actions ou procédures pénales ou réglementaires aux Etats-Unis (…). » Mais conclut par cette remarque sans ambiguïté : « (…) On entend beaucoup dire que les banques britanniques sont injustement ciblées. Ce discours ne tient pas, notamment en raison de notre solide entente (…). Et c’est d’ailleurs au nom de cela que j’apprécierais votre soutien, pour démontrer que la démarche des Etats-Unis est juste et cohérente. »

Publié en pleine campagne pour l’élection présidentielle américaine, à moins de six mois de la fin du mandat de Barack Obama, ce rapport du camp républicain sert, bien sûr, un objectif politique. Mais il est également révélateur des dysfonctionnements du système financier mondial. Et, en cela, doublement assassin.

D’une part, en effet, ce document donne à voir un système dans lequel de grandes banques devenues des mastodontes financiers, totalement imbriqués dans l’économie mondiale, ont acquis une quasi-impunité judiciaire : elles sont désormais à la fois « too big to fail » (trop grosses pour que les Etats les laissent faire faillite, en cas de problèmes financiers) et « too big to jail » (trop grosses pour être condamnées), ainsi que le fait valoir le chancelier britannique.

Cette situation d’impunité avait été dénoncée par certains élus américains dès 2013, avant même ces révélations. « Combien de milliards de dollars faut-il blanchir, combien d’embargos faut-il violer pour qu’on envisage enfin de fermer une banque comme celle-ci ? », s’était notamment indignée la sénatrice du Massachusetts, Elizabeth Warren, après la banque eût avoué ses multiples infractions à la loi…

Constat d’impunité

Des guichets avaient été ouverts par ses soins pour blanchir les valises de billets des narcotrafiquants mexicains et colombiens, du cash convoyé par avions et véhicules blindés jusqu’aux Etats-Unis. Le trafic avait duré sept ans, de 2003 à 2010, admis sinon couvert par les dirigeants. HSBC avait par ailleurs entretenu des liens d’affaires avec des organisations suspectées de soutien au terrorisme, dont la banque d’Arabie saoudite Al Rajhi, proche d’Al-Qaida.

En marge de ce constat d’impunité, le rapport des représentants au Congrès met, d’autre part, en évidence la collusion d’intérêts entre la classe politique et les banques… Des liaisons incestueuses entre deux mondes censés se tenir à distance mais régulièrement pointées. La proximité entre HSBC et le pouvoir britannique a d’ailleurs déjà fait l’objet de critiques, comme en 2012, lors de l’annonce, par la banque, du recrutement comme consultant d’un ancien dirigeant des services fiscaux britanniques, Dave Hartnett.

Quel impact auront ces nouvelles révélations ? Mardi 12 juillet, tandis que M. Osborne se refusait à tout commentaire, John McDonnell, le chancelier de l’Echiquier du « cabinet fantôme » de Jeremy Corbyn – cette particularité de la pratique parlementaire britannique, qui accorde à l’opposition, à travers un tel cabinet, un rôle de surveillance du gouvernement –, exigeait des explications rapides de sa part.

« Aucune institution ne peut être au-dessus des lois, fût-elle puissante et financièrement importante, estime le responsable politique. Il est difficile d’imaginer que le chancelier de l’Echiquier use de son pouvoir pour intervenir dans une enquête judiciaire. »