Photo de famille au dernier sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 15 mars 2015. | ZACHARIAS ABUBEKER/AFP

L’ordre du jour du sommet de l’Union africaine (UA), qui doit se tenir les 16 et 17 juillet à Kigali, est très chargé. Mais il est un thème surlequel il devrait se plonger en priorité : l la question de l’alternance politique et du transfert pacifique du pouvoir. Le sommet offre aux chefs d’Etat l’occasion d’actualiser leur position. Leurs opinions publiques l’espèrent.

Lors des sommets d’Alger et de Lomé, en 1999 et en 2000, ces dirigeants avaient pris des résolutions condamnant toute prise du pouvoir par des voies anti-constitutionnelles. En leur temps, ces résolutions furent saluées comme de grandes avancées démocratiques. En accord avec l’acte constitutif de l’UA, un coup d’Etat entraîne automatiquement la suspension du pays concerné des instances de l’organisation. Cela jusqu’à la restauration de l’ordre constitutionnel.

Sur ce point, il ne peut y avoir de désaccord. Cette position de principe demeure encore parfaitement valide. Le continent a très longtemps souffert de coups d’Etat menés par des généraux, des colonels, des capitaines et même des sergents. Avec des résultats politiques et économiques souvent peu probants.

Mauvaise gouvernance enrobée d’arrogance

Aujourd’hui, plusieurs raisons poussent à enrichir ces résolutions adoptées il y a plus de quinze ans. La condamnation d’un coup d’Etat ne suffit pas, à elle seule, à résoudre les problèmes si l’UA ne met pas en place des actions préventives contre les verrouillages de l’espace politique. Des verrouillages qui fossilisent les systèmes politiques, marginalisent les partis et déstabilisent le secteur privé national et étranger.

Il convient de se pencher sur les véritables causes d’un coup d’Etat militaire dont la plus fréquente est une mauvaise gouvernance enrobée d’arrogance. Une gouvernance qui ne laisse aucun espoir d’alternance pacifique au pouvoir et se manifeste par l’exclusion ethnique ou sociale et une corruption endémique. Enfin les trafics, en particulier de drogue et la masse d’argent véhiculée, pervertissent les systèmes politiques.

A travers le continent, la démocratisation du début des années 1990 est en recul. Excepté les libertés d’expression – en progression –, le paysage politique est assombri par une floraison d’obstructions à l’alternance pacifique. Une dernière trouvaille, la manie des amendements constitutionnels, aggrave le contexte. La suppression de la limitation du nombre des mandats présidentiels quand elle existe exacerbe davantage les tensions et lubrifie les canaux des recrutements djihadistes.

Il est exceptionnel que l’UA ou ses partenaires extérieurs condamnent ces coups d’Etat constitutionnels menés par des leaders déterminés à s’ancrer au pouvoir. Cependant, dans un monde toujours plus connecté, les Africains ne se sentent plus intimidés. Comme d’autres peuples, naguère soumis aux systèmes des partis uniques, ils abhorrent autant les tripatouillages des élections que celui des Constitutions.

Que faire d’un président au comportement erratique exécutant ses opposants, encourageant la violation des droits de l’homme et le népotisme comme base de recrutement ainsi que la corruption systématique comme mode de gouvernance et, surtout, se déclarant en contact direct avec Dieu ?

Très peu de Constitutions africaines prévoient la destitution du chef de l’exécutif dans le cas où sa capacité à exercer ses responsabilités est fortement diminuée par un handicap physique ou mental. En déshérence, le pays se trouve face à un dilemme. Soit un coup d’Etat met fin au cauchemar avec la perspective de sanctions internationales, soit la déliquescence du pays le mène à une guerre civile et aux malheurs qui s’ensuivent : destruction des infrastructures, déperdition des élites et migrations massives vers l’étranger.

Combinaison perdant-perdant

Il n’est certes pas impossible aux Africains de vivre sous des régimes non démocratiques tels ceux de l’Asie du Sud-Est s’ils bénéficient, comme eux, des fruits d’une croissance économique durable. L’espoir d’un avenir meilleur avec des infrastructures physiques et sociales qui fonctionnent peut atténuer les rigueurs des régimes autocratiques.

Ce qui est insupportable, et particulièrement pour les plus jeunes, c’est la combinaison perdant-perdant : totalitarisme politique et déficience économique. Pour des citoyens de plus en plus mondialisés, la perpétuation au pouvoir de ces leaders est vécue comme une malédiction et la cooptation de leur successeur, la goutte de trop.

Enfin, si la condamnation d’un coup d’Etat militaire contre un véritable régime démocratique est justifiée, deux conditions sont nécessaires pour la rendre efficace. Pour être crédible, l’UA devrait aussi condamner, sans équivoque, la manipulation flagrante des élections. Cette pratique, qui équivaut à de véritables coups d’Etat civils, est la cause réelle des coups d’Etat militaires.

En réponse, l’UA devrait aller au-delà de la condamnation automatique et établir des conditionnalités à remplir par le nouveau régime : un audit indépendant de la situation économique et financière et des droits de l’homme du pays ; la mise en œuvre d’un processus démocratique crédible et ouvert ; la fixation d’un délai raisonnable pour l’organisation d’élections libres ; un engagement formel des leaders civils et militaires du coup d’Etat de ne pas se présenter aux élections et de rester neutres au cours du processus de transition.

Respectabilité et influence

Comme l’ont prouvé des changements non constitutionnels récents – coup d’Etat de février 2010 au Niger et révolution populaire en octobre 2014 au Burkina Faso –, les sanctions de l’UA ne constituent pas une dissuasion suffisamment puissante pour décourager des populations et des oppositions déterminées à se libérer de régimes jugés imposteurs.

Les partenaires de développement ne peuvent continuer à laisser aux seuls Etats-Unis la promotion et la défense de la démocratie et des libertés. Cette défense mérite d’être au moins transatlantique et de faire l’objet d’une approche consensuelle des puissances démocratiques et de pays qui investissent largement en Afrique, Chine et Turquie par exemple. Lesquels y gagneront en respectabilité et donc en influence. Enfin et surtout, il faut à tout prix éviter les doubles standards. En d’autres termes, défendre la démocratie dans certaines régions du monde et, sous d’autres cieux, sympathiser avec les dictatures.

Avant la démocratisation des pays africains, la menace de coups d’Etat militaires était, de facto, un régulateur politique. Précisément, la peur d’un possible coup d’Etat servait de contre-pouvoir à celui des hommes dits forts. Faute de mieux, ces coups assuraient, de manière certes non pacifique, une forme d’alternance au pouvoir.

Un bon nombre d’Africains constatent qu’une bonne intention – la condamnation – a produit des effets inattendus et pervers. Elle s’est transformée en feu vert et en assurance-vie pour les pouvoirs en place qui veulent s’éterniser.

Equilibrer les condamnations

Il serait plus sage d’équilibrer la condamnation de ces coups d’Etat par une pareille condamnation des hold-up électoraux. Le statu quo actuel comporte le risque de figer les pays dans un cycle infernal de putschs militaires en réaction à des putschs civils.

A Kigali, les leaders africains devraient commencer par adopter des mesures préventives qui permettent d’alerter, de suspendre et enfin d’exclure les régimes qui ne respectent pas leurs propres règles électorales. Le sommet sera ainsi l’occasion de s’accorder sur une définition plus complète du coup d’Etat.

Celle-ci devra naturellement inclure toute prise du pouvoir par les forces armées au détriment d’un régime élu démocratiquement. Elle devra également inclure les parodies électorales ainsi que les amendements constitutionnels de convenance destinés à perpétuer au pouvoir un homme ou son clan.

Le terrorisme, la dégradation de l’environnement et les trafics divers sont intimement liés à la manière dont sont dirigés les pays. L’alternance pacifique au pouvoir et la bonne gouvernance offrant une assurance contre ces risques, l’UA doit s’y pencher sans délai.

Ahmedou Ould-Abdallah est ancien ministre des affaires étrangères de la Mauritanie et ancien secrétaire général adjoint des Nations unies.