Nicolas Sarkozy et Alain Juppé à Paris, le 23 septembre 2015. | JACKY NAEGELEN / REUTERS

Trois jours après l’attentat de Nice, commis un 14 juillet, jour de la fête nationale et de l’unité du pays, la discorde politique s’amplifie. « Tout ce qui devait être fait depuis dix-huit mois n’a pas été fait » a martelé Nicolas Sarkozy sur le plateau du journal télévisé de TF1 dimanche soir.

Dans un discours martial, où il a évoqué une « guerre totale », le président des Républicains a demandé l’ouverture de centres de déradicalisation, qu’on « mette à la porte » les personnes fichées S d’origine étrangère et que celles qui présentent un risque de radicalisation soient munies d’un bracelet électronique ou placées en centre de rétention.

Il a également estimé que les préfets devaient pouvoir prendre la décision de fermer des lieux de cultes musulmans ayant des liens avec l’idéologie salafiste et de pouvoir en expulser les imams. Enfin, il en a appelé à l’intervention au sol des voisins de l’Irak et de la Syrie « alliés » de la France, tout en appelant à l’alliance avec la Russie.

Sous le feu des critiques, Manuel Valls était monté au créneau, dimanche 17 juillet, dans une interview au Journal du dimanche. « Certains politiques irresponsables disent que cet attentat était évitable. Mais le risque zéro n’existe pas. Dire le contraire, c’est mentir aux Français », dénonce le premier ministre avant d’estimer que « la réponse à l’Etat islamique ne peut pas être une “Trumpisation des esprits. »

Dans cet entretien, M. Valls critiquait plus précisément « l’attitude de Christian Estrosi », ancien maire (Les Républicains) de Nice et actuel président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur – qui s’était emporté, vendredi soir, contre le manque de policiers déployés à Nice lors du feu d’artifice, et les récentes déclarations d’Alain Juppé qui, dès le 15 juillet, avait écrit qu’« aucun fatalisme ni aucune naïveté ne peuvent être tolérés ». « Si certains dans l’opposition s’y refusent, si même ceux qui étaient considérés comme modérés participent à cette dérive démagogique, c’est très grave », répond le premier ministre.

Pas sûr pourtant que cette réaction suffise à calmer les critiques de la droite. « Le peuple n’est pas dans l’unité nationale. Le gouvernement ne peut pas s’en sortir pour la troisième fois à bon compte en ayant tous les politiques autour de lui », a répété M. Estrosi au Point, dimanche. Le même jour, le maire de Bordeaux et candidat à la primaire de la droite a assumé sa position dans une interview au Parisien : « Le fatalisme n’est pas une politique. »

Alain Juppé muscle ses attaques

« Les Français ont bien conscience que l’unité nationale n’est indispensable que si elle est efficace, analyse Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et proche de Nicolas Sarkozy. Or les Français sont en colère. Ils ne voient pas en François Hollande un chef de guerre. Le triptyque “émotion-communication-banalisation” a vécu et nous avons besoin d’un réarmement juridique, militaire et moral. »

L’approche de la primaire à droite, fin novembre, et de la présidentielle de 2017 entraîne une surenchère entre les différents ténors de la droite. Chacun veut être le porte-parole de la « colère » des Français et rassurer les citoyens en vue des échéances électorales. Alain Juppé n’a pas changé d’idées depuis la publication de son livre Pour un Etat fort (éd. JC Lattès, 250 p.) en janvier, dans lequel il se prononce pour un renforcement du renseignement territorial et le développement d’une force de renseignement pénitentiaire. Mais l’ancien premier ministre a été prompt à réagir en diffusant un communiqué offensif dès vendredi 15 juillet.

Un changement d’habitude pour un candidat qui n’aime pas réagir en étant brusqué par l’actualité. En musclant et en répétant ses attaques contre le gouvernement, le maire de Bordeaux s’est placé de lui-même au centre de la tempête politique. A l’approche de la primaire des 20 et 27 novembre, le candidat ne veut pas se laisser déborder par son principal adversaire, Nicolas Sarkozy, qui remonte dans les sondages. « Nous ne serons jamais dans la surenchère mais il y a une forme de fatalisme qui heurte les Français », explique Gilles Boyer, le directeur de campagne de M. Juppé.

Durcir l’état d’urgence

L’ancien chef de l’Etat devrait lui aussi être très actif dans les prochains jours en se posant en principal opposant au gouvernement. Après ses déclarations très acerbes de dimanche soir, M. Sarkozy réunira un bureau politique de son parti, lundi 18 juillet. En visite à Berlin, M. Juppé n’y assistera pas.

Puis, il recevra les parlementaires LR au siège du parti, mardi matin. Plusieurs députés proches – Eric Ciotti, Guillaume Larrivé (Yonne) et Georges Fenech (Rhône) – devraient une nouvelle fois déposer des amendements lors du débat sur la prolongation de l’Etat d’urgence en réactivant des idées déjà amenées dans le débat après les attentats de novembre 2015 et le double meurtre de Magnanville (Yvelines) le 13 juin : la rétention administrative des individus qui constituent une menace pour la sécurité de l’Etat, la fermeture des lieux de culte salafistes ou encore la suppression de tout aménagement de peine pour les individus condamnés pour des faits de terrorisme.

« L’Etat d’urgence ne doit plus être virtuel. Le nouveau clivage a lieu entre ceux qui sommeillent et ceux qui sont conscients que nous sommes en état de guerre, tranche M. Larrivé. Et le gouvernement devrait parfois nous écouter. En ces temps de guerre, il faut refuser le faux unanimisme car le débat démocratique a un sens – en 14-18, Clemenceau débattait à la Chambre des députés – et rejeter l’improvisation et les polémiques politiciennes. Nous sommes un parti de gouvernement qui fait des propositions réalistes. »

Concurrence avec le FN

Une façon de dénoncer les prises de position de Marine Le Pen qui a une nouvelle fois réactivé sa critique d’un prétendu « système ». « Une telle crise doit nous amener à dire : Hollande, Valls, Cazeneuve, Sarkozy et consorts, plus jamais ça, plus jamais eux », a déclaré, samedi 16 juillet la présidente du Front national.

Au milieu de ces événements tragiques, les deux partis n’oublient pas qu’ils seront en concurrence en 2017. La montée du FN dans les Alpes-Maritimes, un bastion de la droite républicaine, inquiète depuis plusieurs mois l’état-major du parti LR, qui craint que cet attentat à Nice ne renforce encore la poussée frontiste. Cette donnée qui explique aussi les positions de plus en plus radicales de l’opposition, coincée entre un exécutif à la manœuvre et un FN anti-système. « La prochaine élection présidentielle se jouera sur la façon de protéger les Français et l’homme le mieux placé pour être un chef de guerre. Cette question sera essentielle, bien avant celle du chômage », conclut M. Ciotti. Plus l’échéance présidentielle se rapprochera, plus la droite confortera cette stratégie en ne laissant aucun répit à l’exécutif. Quitte à piétiner l’unité nationale.