Aéroport, lignes à grande vitesse… les militants contre les projets « inutiles » se coordonnent
Aéroport, lignes à grande vitesse… les militants contre les projets « inutiles » se coordonnent
Par Rémi Barroux (Bayonne, envoyé spécial)
A Bayonne, du 15 au 17 juillet, les associations qui luttent contre les grands projets d’infrastructure ont échangé leurs arguments et dénoncé les « mensonges » des autorités.
A Bayonne, du 15 au 17 juillet, les militants européens contre les "grands projets inutiles et imposés" se sont réunis. | Photo : R. Bx.
« Démocratie », « légitimité », ce sont sans doute les mots qui ont été les plus prononcés, les plus revendiqués, durant les rencontres contre les « grands projets inutiles et imposés », les « GPII », qui se sont déroulées à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) du 15 au 17 juillet.
Les ZAD d'Europe se retrouvent au forum contre les grands projets inutiles et imposés
Durée : 03:58
Certes, la dramatique attaque terroriste qui s’est déroulée, la veille de l’ouverture du forum, le jeudi 14 juillet à Nice, a suscité émotion et sympathie pour les victimes, en ouverture de la réunion qui a réuni 150 à 200 militants européens.
Mais pas question pour autant de faire une pause dans la lutte acharnée menée contre des projets aussi variés qu’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), un tunnel transalpin destiné à la ligne ferroviaire Lyon-Turin, des lignes à très haute tension de l’autre côté des Pyrénées, une gare à Stuttgart ou encore des lignes à grande vitesse au nord de Londres, en Provence et au Pays basque…
Sous le soleil basque, à Bayonne, militants européens anti #GPII débattent des "grands projets inutiles et imposés" https://t.co/OJqeYPmWea
— remibx (@Rémi Barroux)
« Le but du terrorisme, c’est de nous empêcher de vivre, mais on ne va pas s’autocensurer et accepter pour cela la confiscation de la démocratie avec l’état d’urgence. Si la réponse au terrorisme, c’est de nous dire de ne pas manifester, alors ils auront gagné », insiste Martine Bouchet du Collectif des associations de défense de l’environnement (Cade) du Pays basque et du sud des Landes, coorganisateur de la rencontre.
« Mensonge et décisions antidémocratiques »
Pour elle, comme pour l’ensemble des participants au forum, le plus grave reste « le mensonge des porteurs de projets et les décisions antidémocratiques qui les accompagnent ». Durant trois jours d’ateliers et de séances plénières dans les salles de la Société nautique de Bayonne, sur les rives de l’Adour, les exemples n’ont pas manqué, selon eux, de ces projets imposés, coûteux, inutiles, contestés souvent physiquement, comme à Notre-Dame-des-Landes, dans le Val de Suse dans le Piémont italien ou à Sivens dans le Tarn.
L’annulation de la déclaration d’utilité publique de ce projet de barrage par le tribunal administratif de Toulouse, le 1er juillet, a notamment résonné comme la preuve de l’illégitimité de l’ensemble de ces dossiers, souvent validés par la justice et par les autorités.
Un autre encouragement est venu de la présence de Mireille Fanon-Mendès France, juge au Tribunal permanent des peuples qui siège à Rome. Elle a expliqué la condamnation de la France et de l’Italie, dans le dossier du Lyon-Turin, par ce tribunal fondé en 1979 qui s’appuie sur les différents textes du droit international. « Quand des personnes ont été victimes de crimes de guerre, qu’ils n’arrivent pas à se faire entendre, qu’ils n’ont pas d’endroit pour dire le droit, nous pouvons nous saisir des dossiers », explique la fille aînée de Frantz Fanon et épouse du fils de Pierre Mendès France.
#GPII Mireille Fanon Mendes-France, juge au Trib. permanent des peuples, condamne France & Italie pour le Lyon-Turin https://t.co/isGWG32n6l
— remibx (@Rémi Barroux)
Alors bien sûr, le tunnel transalpin n’est pas le génocide des Arméniens ou la répression au Tibet mais, assure-t-elle, « nous avons instruit ce dossier et il y a bien violation des droits fondamentaux, non-consultation des populations concernées, manque de transparence, création d’une zone militaire du côté italien, ce qui est interdit par la loi, violence d’Etat, confiscation de terres, mensonges… ». Selon elle, les crimes principaux d’aujourd’hui sont des crimes économiques qui, comme les crimes coloniaux d’hier, « violent les droits des populations autochtones ». « Il faut continuer à dire le droit, à rappeler les normes, le cadre, sinon, c’est la jungle », assène Mireille Fanon-Mendès France.
Autant d’arguments répétés par Daniel Ibanez, porte-parole côté français, ou Paolo Prieri des No-Tav, les opposants italiens au projet de tunnel. « Tout ceci est une somme de mensonges, tant sur le temps que ferait gagner le nouveau tunnel, sur l’augmentation annoncée du fret routier sur cet axe, que sur le coût total du projet ou même sa viabilité, vu que ni l’Italie ni la France n’ont réellement l’argent pour construire les accès à la partie transfrontalière », résume Paolo Prieri.
Et Daniel Ibanez d’ironiser sur la présence de François Hollande à l’inauguration du tunnel suisse du Gothard, le 1er juin : « Bizarrement, ce tunnel de la même distance que celui prévu sur le Lyon-Turin, avec les mêmes conditions géologiques et les mêmes contraintes, a coûté 11,3 milliards d’euros alors qu’on continue à nous faire croire que le franco-italien ne coûterait que 8,6 milliards ! » Le 26 octobre, les opposants au projet de tunnel seront à Strasbourg pour apporter aux parlementaires européens le jugement du Tribunal permanent des peuples.
Dans les rues de Bayonne, jusque tard dans la soirée, les militants contre le tunnel Lyon-Turin, les lignes à très haute tension espagnoles ou la gare de Stuttgart, ont échangé leurs arguments. | Photo : R. Bx.
Mégaprojets énergétiques
Les nombreux Espagnols venus à Bayonne ont aussi martelé ces accusations de mensonges sur les données justifiant les projets, en particulier ceux qu’ils appellent les « mégaprojets énergétiques », soit trois ou quatre lignes à très haute tension et un gazoduc géant qui traverseraient les Pyrénées. Plus d’une cinquantaine d’associations de Catalogne, d’Aragon, de Navarre, se sont réunies dans un réseau qui insiste sur l’inutilité de ces projets.
« On est en surcapacité totale, plus de 190 %, mais les électriciens espagnols préfèrent acheter l’électricité en France, où le kWh ne coûte que 14 centimes contre 25 en Espagne, pour nous le revendre plus cher », explique Carlos Gonzalez du réseau unitaire espagnol. Même la Commission de régulation de l’énergie française a estimé, en juin 2015, que « les projets de liaison à travers les Pyrénées envisagés n’ont pas atteint un stade de maturité suffisant pour faire l’objet d’évaluations socio-économiques pertinentes ». Autrement dit pour les opposants, ces projets sont inutiles et ils enragent de voir les autorités espagnoles s’obstiner à faire ces chantiers.
Durant trois jours, sous un éclatant soleil estival, les militants anti-GPII se sont chauffés, se donnant rendez-vous qui à Notre-Dame-des-Landes, pour la manifestation nationale annoncée le 8 octobre, qui à Bure contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires.
En conclusion, Maxime Combes, d’Attac, a fait le lien entre ces résistances et la lutte contre le réchauffement climatique. « La question climatique est rarement mobilisée pour disqualifier ces grands projets, pourtant contradictoires avec les engagements pris par les pays européens lors de la COP21, explique Maxime Combes. En revanche, les porteurs de ces projets savent utiliser le climat pour justifier une ligne à grande vitesse, le fret ferroviaire ou une nouvelle aérogare à haute qualité environnementale. » Il faut donc avoir une vision plus large, prendre en compte l’intérêt environnemental, mais aussi social, économique pour « imposer un moratoire sur ces projets d’infrastructure ».