C’est dans un ancien sanatorium perché sur une colline enneigée des environs d’Oslo que la catastrophe humanitaire en cours dans le bassin du lac Tchad et dans le nord-est du Nigeria est peut-être sortie de l’oubli. A l’initiative du gouvernement norvégien, de l’Allemagne et du Nigeria, la conférence des donateurs organisée vendredi 24 février s’est conclue par l’engagement de 14 pays de mobiliser 458 millions de dollars (433,6 millions d’euros) cette année et 214 millions les deux années suivantes pour apporter une aide aux 10,7 millions de personnes les plus affectées par le conflit sévissant au Nigeria en 2009 avec l’insurrection du groupe djihadiste Boko Haram.

Si les besoins en 2017 sont estimés à 1,5 milliard de dollars, cette première collecte a néanmoins été jugée « très encourageante » par le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), Stephen O’ Brien. Les Européens, le Japon et la Corée du Sud, seuls à avoir répondu à l’appel, ont promis 458 millions de dollars pour cette année. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont reporté leurs annonces en raison de la formation de la nouvelle administration Trump pour les premiers et de calendrier budgétaire pour les seconds.

Nigeria : la souffrance des déplacés de l’extrême Nord-Est
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Sept ans après les premières exactions commises par la secte et son expansion dans l’extrême nord du Cameroun, le sud du Niger et l’ouest du Tchad, la déstabilisation de la région où sévissait déjà une extrême pauvreté est totale. 2,3 millions de personnes ont dû fuir leur foyer. Parmi elles, une majorité de femmes et d’enfants traumatisés par les violences et les abus sexuels. Les agriculteurs ont abandonné leurs champs, les pêcheurs n’ont plus accès au lac, et l’intense commerce transfrontalier entre les quatre pays reste anéanti par l’insécurité.

Plus de sept millions de personnes survivent avec un repas par jour, et chaque percée de l’armée nigériane dans les territoires jusqu’alors occupés révèle une situation plus grave encore. « Nous n’étions pas retournés à Banki [dans l’Etat de Borno] depuis deux ans. Nous y avons vu des cas de famine, témoigne Lise Fouquat, d’Action contre la faim. Le niveau de malnutrition des enfants y est sept fois supérieur au seuil d’urgence qui est associé à un fort risque de mortalité. » Ils découvrent aussi des villes en ruine où les écoles, les maisons, les centres de santé ont été pillés et détruits.

Crise dissimulée

« Gouvernements, agences des Nations unies, Organisations non gouvernementales et pays donateurs, nous avons collectivement tardé à reconnaître l’ampleur de la crise. La réponse militaire apportée contre Boko Haram l’a emporté sur les préoccupations humanitaires », ont admis les grandes ONG présentes dans la capitale norvégienne, dans un communiqué conjoint. Certaines ne se satisfont pas de ce mea culpa. « Ce n’est pas une crise oubliée mais une crise qui a été dissimulée par le gouvernement nigérian, affirme le représentant de l’une d’elles, qui préfère garder l’anonymat. Il lui a fallu du temps pour surmonter la honte de devoir admettre qu’une partie de sa population mourait de fin. »

« Même en prenant des risques, l’accès aux populations les plus vulnérables reste très difficile voire impossible »
(Natalie Roberts, de Médecins sans frontières)

La tenue de cette conférence est donc en soi considérée comme une victoire et l’attitude du Nigeria, dont le ministre des affaires étrangères, Geoffrey Onyeama a déclaré qu’« il était temps de déployer assistance et protection » comme un tournant. Mais les humanitaires savent qu’ils ont une autre bataille à livrer : parvenir à acheminer la nourriture, les vaccins, l’eau potable… dans les zones les plus reculées où les affrontements entre Boko Haram et les forces régulières se poursuivent. « Même en prenant des risques, l’accès aux populations les plus vulnérables reste très difficile voire impossible », constate Natalie Roberts, de Médecins sans frontières. Plusieurs pays donateurs et des représentants des Nations unies ont demandé au Nigeria et à ses voisins de respecter les « règles de la guerre » en permettant aux ONG de faire leur travail.

A Oslo, l’extrême urgence n’a cependant pas masqué une interrogation plus profonde sur l’avenir de cette région délaissée depuis longtemps par les pouvoirs centraux et dont Boko Haram apparaît comme un avatar. « L’extrême pauvreté, la pression démographique, le changement climatique : nous avons devant nous les composants d’un désastre total », a rappelé le commissaire européen aux affaires humanitaires, Stylianides Christos. « Le développement doit être notre ultime objectif. Sans développement, il n’y aura pas de paix durable. » Autour de la table, chacun avec ses mots a fait le même constat même si, pour l’heure, il s’agit de sauver des vies.