L’AFRIQUE INTIME Pour une éducation à la sexualité de nos enfants
L’AFRIQUE INTIME Pour une éducation à la sexualité de nos enfants
Par Ali Habibbi (chroniqueur Le Monde Afrique)
Notre chroniqueur, thérapeute de couple et spécialiste des addictions, fait le point sur la nécessité de dépasser les tabous, entraves à une communication saine au sein de la famille.
Des enfants tunisiens lors de l’eclipse partielle de soleil, le 3 novembre 2013. | FETHI BELAID/AFP
En Afrique comme ailleurs, l’éducation à la sexualité demeure tabou dans beaucoup de familles, quel que soit le milieu social, la religion ou le pays. L’absence d’éducation à la sexualité est une forme d’éducation, qui laisse un vide abyssal en réponse à des questions que les jeunes, et moins jeunes, peuvent se poser de la manière la plus légitime qu’il soit.
L’AFRIQUE INTIME : faut-il parler de sexe à ses enfants ?
Durée : 11:34
La sexualité est un sujet qui concerne tout le monde, et qui est encore souvent passé sous silence. Par peur, par honte, par incapacité. La peur pousse certains à croire qu’en ne parlant pas de sexualité, ils la maîtrisent. Ce qui est faux. C’est en parlant de ce que l’on vit qu’on peut maîtriser ce que l’on ne veut pas vivre.
Nous transmettons, de manière passive ou active, notre vision de la sexualité et du désir à nos enfants. Et cette transmission construira le bien-être, la confiance qu’ils éprouveront à la découverte de leur propre sexualité, ou la honte, l’inhibition, la culpabilité. Or la sexualité et le désir ne sont ni bons ni mauvais. Ils sont neutres en cela qu’ils sont l’expression de besoins naturels.
Intimité, sensation et sensualité
Eduquer ses enfants, c’est d’abord les accompagner. Il faut donc être présent et avoir créé un climat de confiance pour qu’ils puissent exprimer leur ressenti, leurs questions. Eduquer, c’est aussi instruire. En matière de sexualité, le parent n’est pas forcément la personne la plus pertinente pour son enfant. Soit parce qu’il ne parvient pas à trouver les bons mots, soit parce que l’enfant éprouvera trop de gêne à interroger son père ou sa mère.
A chacun donc de choisir une personne référente – un oncle, une tante, une personne de confiance – et de faire savoir à son enfant que l’on a « validé » cette personne.
Parler de sexualité exige que l’on adapte son discours à l’âge de l’enfant ou de l’adolescent et à son niveau de maturité. Le terme de « sexualité » peut d’ailleurs être trop lourd. On peut parler d’intimité, de ressenti, de besoins, de sensation, de sensualité.
Si l’on peut avoir besoin d’adapter son discours au fait qu’on est face à un garçon ou à une fille, l’idée centrale pour tous est l’apprentissage du respect de soi, du respect de l’autre et de l’égalité des corps. Les jeunes filles doivent apprendre que leur corps est important, qu’il leur appartient, que personne ne peut l’utiliser contre leur volonté. Il est important qu’elles apprennent à ne pas se laisser faire, à s’imposer. Nos garçons doivent aussi apprendre à se respecter en comprenant que le corps des jeunes filles ne leur appartient pas, qu’elles n’ont pas à être soumises à eux, qu’ils ne peuvent en faire des esclaves ou les dominer. La question du consentement mutuel est primordiale.
Une éducation adaptée et une attitude d’ouverture permettent aussi à nos enfants de comprendre s’ils sont victimes d’un geste déplacé, d’un abus, d’une situation anormale. Et leur accorde un espace pour en parler rapidement. Parler de sexualité et éduquer peut protéger nos enfants des abus, de l’agression, du viol.
Un faux normalisé
L’autre défi des parents est de contrer l’omniprésence de la pornographique, dont l’accès est facilité par Internet. Les enfants y sont exposés de plus en plus jeunes, dès 8 ans.
La peur et les tabous qui engendrent un silence insupportable laissent toute la place à la pornographie, qui fera office d’éducation sexuelle. Le problème de l’exposition des enfants à la pornographie, c’est qu’ils sont en contact avec le scénario d’une sexualité fausse et mensongère parce qu’elle est outrancière. Parce qu’elle est une sexualité de performance. Quand la pornographie est leur seul accès à une connaissance sexuelle, ce faux est normalisé.
Ce qui pourra être à l’origine de nombreux problèmes qui vont au-delà de la question morale : des dysfonctionnements sexuels au paradoxe du manque de désir, en passant par l’addiction et à l’incapacité sexuelle, car le réel n’est plus apprécié pour ce qu’il est. Les futurs adultes se construisent avec une idée de la sexualité qui leur fait perdre de vue la relation et le plaisir partagé.
Face à tous ces défis, nous nous devons d’être présents, à l’écoute, en mesure d’instruire ou de faire instruire nos jeunes pour qu’ils deviennent des adultes conscients, matures et responsables. La sexualité est ce que nous en faisons.
Ali Habibbi, l’un des experts de notre rendez-vous L’Afrique intime, est thérapeute de couple, de famille et sexologue. Il est aussi rédacteur en chef du site Islam & psycho.