A Paris, dans les pas des dresseurs de Pokémon
A Paris, dans les pas des dresseurs de Pokémon
Par Alexis Orsini, Florent Bascoul
Le jeu phénomène pour smartphones « Pokémon Go » n’est pas encore sorti en France, mais de nombreux joueurs arpentent déjà les rues de Paris à la recherche des spécimens les plus rares.
Les dresseurs de Pokémon sont facilement reconnaissables. | FLORENT BASCOUL POUR "LE MONDE"
Au milieu des touristes occupés à multiplier les selfies devant la tour Eiffel, sur l’esplanade du Trocadéro, certains visiteurs vaquent à des occupations bien différentes. Regard rivé sur leur smartphone, allure décidée, cris d’excitation (« ça vibre, je pense que c’est lui », « Evoli n’a pas intérêt à fuir », « yes, je l’ai eu ! ») : aucun doute, ce sont des joueurs de Pokémon Go, le jeu phénomène qui a conquis les Etats-Unis et la quasi-totalité de l’Europe depuis son lancement au mois de juillet.
En France, ces dresseurs – ils doivent capturer des Pokémon – n’ont pas attendu la sortie officielle du jeu pour succomber à ses sirènes et replonger dans la saga « Pokémon », née à la fin des années 1990 avec les premières cartouches sur Game Boy. Des astuces toutes simples (passage par un logiciel tiers ou création de compte à l’étranger) permettent en effet de contourner les voies officielles.
La majorité des joueurs reconnaissent s’être lancés dans la chasse aux Pokémon en réalité augmentée par nostalgie : « La version bleue, avec Carapuce, c’est la base ! », s’exclame Benjamin, 25 ans, en promenade près de la pyramide du Louvre avec deux amis, avant d’ajouter : « J’ai téléchargé le jeu il y a une semaine pour retrouver les 150 Pokémon originaux. » Bien que le dresseur de niveau 6 ne lance le jeu qu’à l’occasion, lorsqu’il se balade à l’extérieur, il est déjà habitué aux boutades de ses proches : « Les filles ont souvent du mal à comprendre le délire, mais elles trouvent ça mignon ! »
« J’ai trouvé Minidraco au Buffalo Grill »
En ce début d’après-midi, Juliette, 27 ans, s’est donné jusqu’à 18 heures pour trouver Excelangue dans le jardin du Luxembourg : « Ce que j’apprécie, c’est tout ce que le jeu permet de découvrir. Il ne met pas seulement en valeur des monuments : l’autre jour, je suis tombée sur de superbes graffitis le long du canal à Bondy. » Son amie Mathilde, qui l’accompagne, n’a pas pu télécharger le jeu faute de capacité de stockage sur son téléphone, mais l’engouement de Juliette ne la laisse pas indifférente : « Je vais essayer de retrouver ma Game Boy ce week-end et rejouer à Pokémon. »
Plutôt que de monter en niveau, Juliette préfère explorer les moindres recoins de Paris à la recherche de nouveaux Pokémon. | FLORENT BASCOUL POUR "LE MONDE"
Les dresseurs les plus aguerris, eux, ont déjà pris l’habitude de chasser les Pokémon à plusieurs : la plupart ratissent les parcs par équipes de deux, mais on trouve aussi des groupes de quatre ou cinq joueurs. Certains, comme Kevin, Adrien, Jennifer et Emilie, sont venus d’Essonne dans l’espoir de progresser plus rapidement à Paris : « Il paraît qu’il y a beaucoup plus de Pokéstop [des points géolocalisés qui permettent de récupérer des objets] ici, alors on est venus tester, en commençant par le jardin du Luxembourg, puisque c’est censé être un lieu propice à la capture de Pokémon », explique Kevin.
Le dresseur a considérablement diminué ses trajets en voiture depuis qu’il a téléchargé le jeu : « Je profite de mes courses à pied pour capturer des Pokémon, ce qui fait qu’elles durent deux heures et demie maintenant… Mais la meilleure technique, ça reste le vélo, puisqu’on peut s’arrêter facilement tout en parcourant de grandes distances. » A côté de lui, Jennifer se vante d’avoir capturé « Minidraco au Buffalo Grill ». Et d’ajouter : « Le jeu consomme énormément, donc la batterie mobile de rechargement est devenue un accessoire indispensable ! »
« On vient se refaire en Pokéballs »
Sur le Pont-Neuf, Sulliman, 18 ans, utilise justement un chargeur mobile en pleine partie de Pokémon Go. Venu de Franconville, dans le Val-d’Oise, pour s’inscrire à l’université Paris-Descartes, il n’avait pas prévu de jouer, mais a finalement décidé de tester l’arène, le lieu où les joueurs peuvent se combattre, installée sur l’île de la Cité : « Je suis niveau 17, donc j’ai déjà remporté les arènes de Franconville. Là, je vais perdre parce que j’ai mal constitué mon équipe, mais généralement elles sont jouables, surtout si on attaque en même temps, à plusieurs ! » Le jeune homme est impressionné par le nombre de Pokéstops présents dans la capitale : « Chez moi, il doit y en avoir cinq maximum dans une même rue, là on en trouve parfois vingt ! »
Les dresseurs aguerris, comme Sulliman, partent toujours à la chasse aux Pokémon avec un chargeur portatif de téléphone. | ALEXIS ORSINI POUR "LE MONDE"
C’est justement la présence de ces points de ravitaillement qui a convaincu Antoine et Enzo, 18 et 17 ans, de faire régulièrement le déplacement de Melun (Seine-et-Marne) : « On vient se refaire en Pokéballs [des balles magiques servant à capturer les créatures] pour attraper les très bons Pokémon de chez nous, comme Lippoutou ou Rhinocorne. »
Nicolas, 21 ans, étudiant à Jussieu, ratisse le square du Vert-Galant à la recherche de Minidraco : « Cela fait plusieurs jours que je parcours les quais pour le trouver, c’est mon Pokémon préféré, il faut absolument que je l’attrape ! » De nombreux joueurs profitent de leurs vacances pour se lancer dans la capture de Pokémon. Certains, comme Alex, Marseillais de passage à Paris, estime que tout repose dans un juste équilibre : « Je n’y joue pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre, donc ça ne parasite pas mes vacances. »
Nicolas cherche Minidraco au square du Vert-Galant, à Paris. | FLORENT BASCOUL POUR "LE MONDE"
« Je joue surtout quand je conduis »
Les pratiques de chasse diffèrent selon les profils de dresseurs. Ricardo s’y adonne surtout au volant (une pratique qu’il jure sécurisée puisqu’il « suffit d’appuyer sur le Pokémon quand il apparaît et c’est bon »), tandis que d’autres préfèrent s’installer près d’un leurre, ces Pokéstops à fleurs qui attirent de nombreux Pokémon.
A quelques mètres des joueurs de boule du jardin des Tuileries, Evan et Clément chassent en silence, confortablement installés sur des chaises. Respectivement parvenus aux niveaux 15 et 13 en moins d’une semaine de jeu, ils admirent la dimension « addictive et surprenante » du jeu : « Quand tu rencontres quelqu’un dans la même rue que toi à Créteil, sur le coup de minuit, tu sais tout de suite qu’il est venu capturer le même Pokémon », s’amuse Clément.
Pokémon Go donne aussi lieu à des situations improbables, comme l’apparition soudaine de Roucool sur la pelouse avoisinante, juste à côté d’une dame qui promène un hamster bien réel… Plus loin, Frank et Axel, en tenue de jogging, ont décidé de capturer des Pokémon le temps d’une pause, avant de reprendre leur course.
Certains joueurs préfèrent rester assis près d’un Pokéstop pour capturer leurs cibles… quitte à rencontrer des hamsters. | ALEXIS ORSINI POUR "LE MONDE"
Ces séances de safari sont parfois l’occasion pour les dresseurs de sympathiser avec leurs semblables, au détour d’un parc ou d’un Pokéstop particulièrement prisé. Ferdinand, 24 ans, s’est ainsi joint au groupe de Benoît, 17 ans, venu chasser en groupe au Champ-de-Mars. Les deux joueurs, munis d’une bouteille d’eau gazeuse et d’une canette de soda, jouent ensemble depuis « deux ou trois heures » alors que le reste de l’équipe est reparti depuis longtemps.
La popularité de Pokémon Go survivra-t-elle à l’été ? Ferdinand a déjà rempli la moitié de son Pokédex (la liste officielle des Pokémon) : « J’ai capturé un Onix à Montrouge, un Scarabrute au Sacré-Cœur, un M. Mime à Vanves… J’ai envie d’avancer et en même temps c’est frustrant, puisque les Pokémon qu’il me manque sont plus difficiles à trouver. Je pense que je me lasserai du jeu, comme beaucoup de monde, d’ici deux à trois semaines. »
Les Pokémon et les dresseurs se mêlent aux touristes de l’esplanade du Trocadéro. | ALEXIS ORSINI POUR "LE MONDE"
Une partie des joueurs se montrent en effet sceptiques quant à la durabilité du phénomène : beaucoup redoutent surtout une récupération commerciale par de grandes enseignes – McDonald’s, Apple – prêtes à installer des Pokéstops dans leurs locaux pour attirer les dresseurs.
« D’habitude, on ne se voit pas en dehors du boulot »
Plus haut, sur l’esplanade du Trocadéro, Hilal et Bernard, deux collègues qui travaillent dans une banque, se sont lancés à la recherche de Pokémon rares dès leur sortie du travail. Les dresseurs en chemise et cravate se montrent plus optimistes sur la viabilité de Pokémon Go : « Le jeu est vraiment génial, je pense qu’il va durer, surtout s’il y a des mises à jour régulières pour ajouter des nouveautés comme les Pokémon légendaires », assure Hilal.
Après un bref coup d’œil sur sa montre, Bernard s’exclame : « Il est 18 heures ! Cela fait déjà une heure qu’on est là… D’habitude, on ne se voit pas en dehors du boulot. » Au niveau 11, Hilal s’émerveille encore des possibilités offertes par le jeu : « Cela permet même de draguer. Tout à l’heure, des filles sont venues me parler d’un Roucool ! »
Certains joueurs, comme Hilal et Bernard, n’hésitent pas à aller capturer des Pokémon à la sortie du travail. | ALEXIS ORSINI POUR "LE MONDE"
Un plaisir neuf, en tout cas, réunit les joueurs, comme Kim et Candide, 22 et 23 ans. Ainsi que l’explique la jeune femme :
« A l’époque, on jouait tout seul, sur nos Game Boy et notre propre cartouche, alors qu’aujourd’hui il y a une ambiance particulière : c’est comme si tous les joueurs étaient rentrés dans la Game Boy et participaient à la même partie. »