Les déchets alimentaires des Français, un gisement vert inexploité
Les déchets alimentaires des Français, un gisement vert inexploité
Par Guillaume Krempp
La loi de transition énergétique oblige les communes à valoriser leurs biodéchets d’ici à 2025. Le manque de financement et de sensibilisation des citoyens reste des obstacles majeurs.
Avec seulement 10 % de la population française concernée par les mesures de collecte des biodéchets, la France accuse un retard par rapport à ses voisins européens. | ERIC CABANIS / AFP
Il y a fort à parier que vos épluchures de tomates ou vos restes alimentaires finissent à la poubelle. En France, chaque individu produit en moyenne 270 kg de déchets non recyclés par an, dont un tiers de déchets organiques – issus de la table ou du jardin. Avec aujourd’hui seulement 10 % de la population française concernée par les mesures de collecte des biodéchets, l’Hexagone figure parmi les plus mauvais élèves de la classe européenne, bien loin derrière l’Autriche (80 %) ou l’Allemagne (plus de 60 %).
Les objectifs fixés dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, adoptée il y a un an jour pour jour, visent donc à rattraper ce retard considérable. D’ici à 2025, toutes les communes devront avoir mis en place une structure de collecte des biodéchets à la source, directement chez le citoyen. Objectif : produire de l’engrais destiné aux cultures agricoles ou de l’énergie sous forme de biogaz. Si certaines initiatives donnent déjà des résultats, le manque de financement et de sensibilisation des citoyens restent des obstacles majeurs au respect des objectifs fixés.
« Pas de solution miracle »
Parmi les différentes méthodes de tri des biodéchets, « il n’y a pas de solution miracle », affirme Nicolas Garnier, directeur général d’Amorce, l’association nationale des collectivités, des associations et des entreprises pour la gestion des déchets. Les déchets organiques peuvent être tout d’abord triés et valorisés localement. Un fonctionnement particulièrement présent dans les zones rurales, où les ménages disposent d’un composteur individuel ou collectif. Les communes souhaitant inciter à une telle valorisation pourront, à peu de frais, doter leurs habitants d’un bio-seau et de sac compostable.
Dans les zones plus densément peuplées, la collecte des déchets en porte-à-porte est souvent préférée. Les citadins se verront alors dotés d’une poubelle supplémentaire affectée aux biodéchets. Elle sera ramassée par un camion pour apporter les restes alimentaires sur un site industriel de traitement. Enfin, une dernière méthode peut être mise en place : la collecte basée sur l’apport volontaire des biodéchets dans des bennes communes.
« Changer de comportement »
En dehors du tri à la source, le tri mécano-biologique (TMB), plus controversé, n’implique pas les ménages dans le processus de valorisation des déchets organiques. Dans cette technique, les déchets organiques sont mécaniquement filtrés dans une usine de traitement, après une collecte classique des déchets ménagers résiduels.
Pour Thibault Turchet, juriste de l’ONG Zero Waste, l’absence d’implication des citoyens constitue l’inconvénient fondamental de cette méthode : « Lorsque les gens ne mettent pas le nez dans les ordures, ils ne changent pas leur comportement et continuent de gaspiller les denrées alimentaires. » Or, des expériences menées en 2014 par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dans le Nord-Pas-de-Calais ont démontré un potentiel de réduction du gaspillage alimentaire annuel de 15 kg par personne.
« A cela s’ajoutent les nuisances sonores et olfactives pour les riverains de ces usines de traitement », ajoute le juriste, évoquant les mobilisations citoyennes contre l’usine de TMB-méthanisation à Montpellier. Une affirmation que confirme un rapport du Sénat de juin 2010 évoquant « une situation rendue particulièrement difficile par la proximité des habitations ».
La loi relative à la transition énergétique a donc mis fin aux aides des pouvoirs publics destinées à la construction de nouvelles usines de tri mécano-biologique. Une disposition vivement critiquée par le directeur général d’Amorce : « Certes, le compost produit par le tri mécano-biologique est de moindre qualité. Il permet néanmoins la collecte d’une plus grande quantité de biodéchets que le tri à la source, qui souffre d’une faible mobilisation des Français. »
« Le nerf de la guerre est financier »
Dans de nombreuses villes ou communes, la collecte et la valorisation des biodéchets restent encore sujettes à débat. « Depuis un an, les collectivités s’interrogent sur comment appliquer la loi », assure Nicolas Garnier. Seule une poignée de villes ont mis en place de tels dispositifs : Lorient et des syndicats intercommunaux autour de Libourne, de Niort ou encore de Pau. Grenoble a fait un test avec cinq immeubles de sept étages et veut aller vers une généralisation. À Paris, une phase d’expérimentation de collecte des biodéchets verra le jour fin 2016 ou début 2017 dans les 2e et 12e arrondissements.
Un important travail de sensibilisation reste néanmoins à accomplir auprès des ménages et des élus. Les premiers peuvent être réfractaires à l’effort supplémentaire d’un tri plus approfondi. Les seconds doutent parfois de la pertinence d’un tel projet et réclament des aides financières supplémentaires.
« Le nerf de la guerre est financier » dans la problématique des biodéchets, assure Nicolas Barbier. L’Amorce estime en effet la hausse des coûts due à la collecte des biodéchets à 10 %. Or, de nombreuses communes n’ont pas les moyens financiers nécessaires. D’où le mécontentement du directeur général d’Amorce : « Depuis la loi relative à la transition énergétique, la part des recettes de la taxe générale sur les activités polluantes n’a pas augmenté pour la gestion des déchets. Le gouvernement ne donne pas les moyens financiers à la hauteur de ses ambitions. »
Afin de faire face à l’inévitable hausse des coûts qui accompagne la mise en place du tri des biodéchets, « réduire les fréquences de ramassage des ordures ménagères s’est avéré être la bonne décision à prendre », se félicite la directrice du syndicat mixte de la communauté de communes de Thann-Cernay (Haut-Rhin), qui a instauré ce dispositif en 2010. Elle tient toutefois à ajouter : « Nous n’y serions pas arrivés sans les aides financières de l’Ademe et les subventions du conseil général. »
Implication des citoyens
Autre solution : instaurer une tarification incitative sur le poids des déchets. Aujourd’hui, 4,5 millions de Français, dans 190 collectivités, voient la facture payée pour les ordures résiduelles calculées en fonction de leur poids. Une mesure visant à récompenser les ménages produisant moins de déchets.
Car l’implication des citoyens est indispensable. « Les réunions publiques et la distribution de documents d’informations ont permis à la collecte des denrées organiques d’intégrer rapidement les mœurs », indique Murielle Thuet, dont le syndicat mixte collecte les ordures de 130 000 habitants. Pour ceux qui n’auraient pas été convaincus, une équipe d’ambassadeurs, principalement des retraités bénévoles, sillonne les communes pour sensibiliser les habitants aux problématiques environnementales.