Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avec le premier ministre, Binali Yildirim (à droite), le chef du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, et celui du Parti d’action nationaliste (MHP), Devlet Bahçeli, à Ankara, lundi 25 juillet 2016. | HANDOUT / REUTERS

Le gouvernement turc invite les trois partis d’opposition représentés au Parlement à « travailler à une nouvelle Constitution », a déclaré le premier ministre Binali Yildirim, lundi 25 juillet. Promettant, dans un premier temps, « un petit changement » constitutionnel, le premier ministre n’a donné aucun détail sur la nature de celui-ci.

Favorable à l’idée d’une nouvelle Constitution pour remplacer l’actuelle, issue du coup d’Etat militaire de 1980, l’opposition en a longtemps débattu avec le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir depuis 2002, majoritaire au Parlement), sans résultat.

Jusqu’ici, les kémalistes du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate, qui suivent l’idéologie fondée par Mustafa Kemal, dit Atatürk), les nationalistes du Parti d’action nationaliste (MHP) et les députés prokurdes du Parti démocratique des peuples (HDP) s’opposaient au projet de régime présidentiel fort voulu par le président Recep Tayyip Erdogan, dont ils dénoncent l’autoritarisme.

Unité de façade

Aussi le premier ministre s’est-il bien gardé, lundi, de la moindre allusion au renforcement des pouvoirs du « grand homme » (l’un des surnoms de M. Erdogan). Pour le président et son équipe, il s’agit de tirer parti de l’esprit de consensus né de la tentative de putsch raté. Aux premières heures du soulèvement, dans la soirée du vendredi 15 juillet, alors que les chasseurs des putschistes bombardaient Ankara, la capitale, les partis d’opposition et leurs militants ont pris fait et cause pour le président légitimement élu contre les militaires factieux.

« Entre un président légitime et un général putschiste, la question ne se posait pas », explique Süleyman Öztürk, 50 ans, militant de toujours du CHP, d’ordinaire plutôt critique de la politique dirigiste et autoritaire du numéro un turc. Comme des centaines de milliers de Turcs, Süleyman a pris part, dimanche 24 juillet, au grand rassemblement organisé place Taksim à Istanbul par le CHP et auquel des élus de l’AKP ont participé sans aller jusqu’à reprendre les slogans scandés par la foule sur la laïcité. Mais, au-delà de cette unité de façade, bien des Turcs sont inquiets depuis l’instauration de l’état d’urgence, alors que les purges se poursuivent à un rythme soutenu.

L’union affichée place Taksim s’est poursuivie lundi par une rencontre de M. Erdogan et de son premier ministre avec Kemal Kiliçdaroglu, le président du CHP, et avec Devlet Bahçeli, le chef du MHP. Fait inédit, les deux chefs de l’opposition ont fait le déplacement jusqu’au palais présidentiel, où ils avaient juré de ne jamais mettre un pied. Mais c’était avant la tentative de putsch.

En revanche, Selahattin Demirtas, le président du parti prokurde HDP, n’avait pas été invité, alors qu’il avait condamné avec virulence le coup de force. « L’exclusion du HDP de la scène politique turque, surtout après la tentative de coup d’Etat, est une réaction stupide », a dénoncé M. Demirtas. Le HDP pourra lui aussi prendre part aux discussions sur la Constitution, a fait savoir le premier ministre Yildirim.

13 165 fonctionnaires arrêtés

Pendant trois heures, les hôtes du président ont discuté de l’après-coup d’Etat. M. Kiliçdaroglu a évoqué le manifeste en dix points élaboré par son parti pour inciter le gouvernement à se conformer à l’Etat de droit. A-t-il été entendu ? Rien n’est moins sûr, à en juger par les mandats d’arrêt émis lundi contre 42 journalistes, dont 11 auraient déjà trouvé refuge à l’étranger. Tous sont accusés d’avoir entretenu, de près ou de loin, des liens avec la confrérie du prédicateur Fethullah Gülen, désigné par le président Erdogan comme le cerveau de la tentative de putsch.

Survenu dans la nuit du vendredi 15 au samedi 16 juillet, jugulé assez rapidement, le soulèvement d’une partie de l’armée contre le pouvoir civil est la plus grave menace que le président Erdogan ait eue à surmonter en treize ans passés au pouvoir (trois mandats de premier ministre et un en tant que président).

Depuis lors, 13 165 fonctionnaires (militaires, policiers, magistrats, juges) ont été arrêtés ou placés en garde à vue, 58 000 personnes ont été mises à pied, près de 1 000 écoles et 15 universités ont été fermées et 1 125 associations ont été dissoutes. Dans le cadre de l’état d’urgence, le délai de garde à vue a été prolongé à trente jours.

L’ONG Amnesty International a dénoncé les privations de nourriture et d’eau, les injures, les menaces et, « dans les cas les plus graves », des coups, des viols et l’usage de la torture envers les prévenus. Ankara a beau démentir, les images de militaires aux visages contusionnés, apparues dans les médias ces derniers jours, en disent long sur la façon dont les aveux sont obtenus des putschistes.