« L’étiquetage alimentaire doit être une réponse à la demande d’une alimentation plus saine »
« L’étiquetage alimentaire doit être une réponse à la demande d’une alimentation plus saine »
LE MONDE IDEES
Il faut mener une étude de terrain concernant les habitudes de consommation des Français pour adapter l’étiquetage alimentaire en fonction de leurs demandes, et le fonds français pour l’alimentation et la santé est sans doute le mieux placé pour la diriger, selon son directeur Daniel Nairaud.
Une homme patiente dans la file d’attente d’un supermarché, le 9 mai 2014 à Paris | JOEL SAGET / AFP
Par Daniel Nairaud directeur général du fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS)
L’alimentation est un déterminant essentiel de la santé mais chacun d’entre nous fait d’abord ses courses avec ses joies, ses soucis, et avec son budget. Autant dire qu’il est très difficile de faire évoluer les comportements alimentaires lorsqu’ils ne sont pas adéquats. Mais il y a une opportunité : chacun veut savoir ce qu’il mange. L’étiquetage doit être une réponse à cette attente et un moyen d’orienter les choix d’achats vers une alimentation plus saine, sans bien sûr oublier qu’il faut aussi agir sur la composition même des produits. L’étiquetage a progressé mais, tout le monde est d’accord, il est trop peu lisible.
Pour l’améliorer, l’un des moyens est qu’un logo soit apposé sur chaque produit pour permettre aux consommateurs de trouver en un coup d’œil l’information qu’ils recherchent. Aucun des systèmes graphiques proposés en France ou existant à l’étranger ne peut certes contenir les multiples données intéressant les consommateurs, par exemple sur les différents allergènes ou les additifs, qui doivent donc être mentionnés ailleurs sur le packaging. Mais un logo peut renseigner sur des éléments majeurs comme la teneur en énergie et en nutriments essentiels, tels les matières grasses, le sucre, le sel.
Des logos différents existent ou sont proposés. Il faut déterminer celui qui répond le mieux aux attentes des consommateurs et qui sera aussi le plus efficace en termes de santé publique. Chacun a des qualités différentes et il faut donc choisir. Pour y parvenir, peut-on se contenter de sondages ou de questionnaires ? À l’évidence non puisqu’ils donnent des indications sur des intentions ou des opinions mais pas sur les comportements réels d’achat. Quand on fait ses courses, on peut choisir un produit qui ne correspond pas totalement à ses préférences théoriques. Les études en laboratoire suffisent-elles ? Non, car les conditions réelles d’achat sont si complexes qu’elles n’y sont pas reproductibles et le consommateur n’est pas un simple animal de laboratoire. Il faut expérimenter en conditions réelles d’achat.
Étude de consommation
Cette idée fait désormais la quasi-unanimité, y compris des organisations de consommateurs. Le gouvernement a décidé de lancer une très grande évaluation de ce type pour déterminer lequel des logos il recommandera. Il a chargé le fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS) d’en porter la réalisation opérationnelle dans le cadre fixé par un comité scientifique multidisciplinaire désigné par le ministère de la santé après consultation des sociétés savantes concernées. C’est une vaste expérimentation qui va se dérouler dans soixante supermarchés de quatre régions françaises. Elle a pour finalité de comprendre si des systèmes graphiques portés en face avant des emballages peuvent aider les consommateurs à optimiser leurs choix et lequel sera le plus efficace parmi les quatre proposés : deux par des scientifiques français et deux mis en place dans d’autres pays européens.
Cette grande étude de consommation, seul le FFAS pouvait la porter et il s’y est totalement engagé. Sa vocation est de mobiliser la communauté scientifique des différentes disciplines concernées, les acteurs économiques, les associations, les administrations et institutions publiques sur des questions d’intérêt général. Il s’inscrit dans les objectifs des pouvoirs publics, à l’exclusion de la défense de tout intérêt privé. Il défriche et approfondit les sujets nouveaux qui concernent l’alimentation d’aujourd’hui. Son appel à projets de 2015 portait sur « précarité et alimentation », celui de 2016 sur « les travailleurs en horaires décalés ». Son dernier « état des lieux » des connaissances scientifiques concerne les insuffisances en vitamine D. Sa méthode, c’est aussi d’encourager l’expérimentation en milieu de vie. Associé avec l’Institut national du cancer, il a été le premier à financer une expérimentation en conditions réelles d’achat dans les quartiers nord de Marseille.
Mobiliser tous les acteurs
C’est pour toutes ces raisons que le FFAS a répondu à la demande des pouvoirs publics d’assumer la mise en œuvre opérationnelle du projet d’évaluation qu’ils ont lancé. Comment agir concrètement dans le domaine de l’alimentation ? L’Etat peut-il tout financer ? Chacun sait que non et c’est pourquoi le FFAS fait appel à la fois à des fonds publics et privés, ces derniers venant non seulement des professionnels de l’agroalimentaire et de la distribution mais aussi d’institutions de prévoyance. Mobiliser ainsi tous les acteurs sur des sujets d’intérêt général, est-ce un mal ? Qui peut raisonnablement le soutenir ? Peut-on, d’autre part, dans un domaine comme l’alimentation, réfléchir et agir seul ? Le progrès de la connaissance ne nait-il pas de l’expertise collective qui puise sa force dans les débats et la confrontation ? Comment agir sur les acteurs sans leur parler ? Y a-t-il en matière de science un monopole qui détiendrait seul le savoir ? Non, la connaissance est plurielle. Ce qu’il faut, c’est mobiliser tous les acteurs. Participer à des réflexions et toujours à titre bénévole, comme c’est le cas dans les groupes de travail thématiques du FFAS, ce n’est pas se mettre potentiellement en situation de conflits d’intérêt mais consacrer de son temps, avec générosité et engagement, à des questions d’intérêt général. Identifier les compétences, organiser l’échange, faciliter les partages d’expérience, c’est tout le contraire de la compromission.
Enfin, dans le cas de l’étiquetage nutritionnel, que les pouvoirs publics ne pourront, en vertu des textes européens et de la loi santé de janvier 2016, que recommander, comment faire prévaloir un logo sans convaincre par des preuves expérimentales ? Cette méthode d’évaluation innovante gagnerait d’ailleurs à être appliquée à d’autres politiques qui visent à influencer les comportements. Il faut progresser en matière d’alimentation et de nutrition, décloisonner, adapter l’action à la réalité, confronter les univers de la connaissance. Tous les responsables publics et ceux qui, comme le FFAS, ont une mission d’intérêt général, doivent coopérer. Les enjeux sont considérables. Ce qui fédère est positif. C’est la condition de la réussite. C’est notre combat.