Scandale en Australie sur le traitement des mineurs en prison
Scandale en Australie sur le traitement des mineurs en prison
Par Caroline Taïx (Sydney, correspondance)
La diffusion d’images de maltraitance de détenus mineurs suscite une vive émotion
Cette capture d’écran de l’émission « Four Corners », sur la chaîne australienne ABC, montre des abus commis par des agents pénitentiaires dans un centre de détention pour mineurs à Darwin, dans le Territoire du Nord. | AUSTRALIAN BROADCASTING CORP’S FOUR CORNERS / AFP
« L’image ne provient pas de Guantanamo ou d’Abou Ghraib, mais d’Australie, en 2015 », annonce la présentatrice de l’émission d’investigation « Four Corners », sur la chaîne publique ABC. A l’écran, l’image choque l’Australie : un adolescent à moitié nu, encagoulé, attaché à un fauteuil par les épaules, la taille, les poignets, les chevilles. Il a été abandonné ainsi dans la pièce, pendant deux heures. La scène s’est déroulée dans le centre de détention pour mineurs de Don Dale, à Darwin, la capitale du Territoire du Nord. Des situations de maltraitance de jeunes détenus, principalement des Aborigènes, avaient déjà été rapportées par des médias australiens. Mais « Four Corners » a obtenu les images des caméras de vidéosurveillance et les a diffusées lundi 25 juillet. Impossible désormais de balayer d’un revers de main les accusations portées par les ONG ou les avocats.
Le jeune homme attaché au fauteuil est devenu le symbole de cette maltraitance. Il s’appelle Dylan Voller et a 17 ans au moment de la scène. Il a été placé en détention pour la première fois à 11 ans. Coupable de vols, d’agressions, il est devenu le souffre-douleur de ses gardiens. ABC a pu retracer quelques-unes des humiliations, comme des mises à nu forcées, des menaces et violences dont il a été victime dès ses 13 ans, alors qu’il était placé à l’isolement, pendant plusieurs jours voire semaines. Avec cinq autres détenus, il a été aspergé de gaz lacrymogène en août 2014 : les autorités judiciaires avaient alors affirmé que les gardiens avaient empêché l’évasion de jeunes détenus, mais on sait désormais que cette version était mensongère.
Le premier ministre australien, Malcolm Turnbull, a annoncé la création d’une commission d’enquête royale, disposant d’importants moyens. « Comme tous les Australiens, j’ai été profondément choqué et horrifié par ces images de maltraitance d’enfants », a-t-il dit. Des voix se sont élevées, en vain, pour demander que l’enquête ne vise pas seulement le Territoire du Nord et la prison de Don Dale, mais soit étendue à toute l’Australie. La maltraitance existerait dans d’autres Etats, selon des ONG.
Un ministre limogé
Le ministre en chef du Territoire du Nord, Adam Giles, demande à la commission royale d’identifier « les racines » du problème. Le taux de détention des jeunes entre 10 et 17 ans est trois fois plus élevé dans sa région qu’ailleurs en Australie. Surtout, la situation des Aborigènes est au centre des débats. Au niveau national, ils représentent 3 % de la population, mais 27 % de la population carcérale. Dans le Territoire du Nord, les Aborigènes représentent environ 30 % de la population, mais 84 % des prisonniers adultes et 94 % des jeunes détenus. Le ministre des affaires aborigènes au niveau fédéral, Nigel Scullion, qui vient de la région, a affirmé ne pas avoir été informé de la situation à Don Dale. « Je me souviens vaguement de commentaires dans les médias. (…) Mais je me suis dit que le gouvernement du Territoire du Nord s’occuperait de cette affaire », a-t-il déclaré, accusé d’inaction par les médias.
Le ministre John Elferink, qui était en charge des services pénitentiaires dans le Territoire du Nord, a été démis de ses fonctions. Il aurait reçu des menaces depuis la diffusion de l’enquête. Six anciens jeunes détenus ont déposé plainte contre le gouvernement local. Dylan Voller, qui est aujourd’hui âgé de 19 ans et désormais dans une prison pour adultes, a écrit une lettre pour remercier les Australiens de leur « soutien » et présenter ses excuses pour ses erreurs.