Exposition « L’Iris de Lucy » : la femme africaine à l’honneur
Exposition « L’Iris de Lucy » : la femme africaine à l’honneur
Par Roxana Azimi
Depuis le 7 juillet, le musée départemental d’art contemporain de Rochechouart expose une vingtaine d’artistes africaines.
Quel est le genre le plus sous représenté dans l’art contemporain ? Les femmes. Quel continent échappe au radar des commissaires d’exposition ? L’Afrique. C’est fort de ce constat que le musée départemental d’art contemporain de Rochechouart a programmé « L’Iris de Lucy », une exposition présentant une vingtaine d’artistes femmes du continent africain et de sa diaspora.
La Lucy auquel le titre fait référence est un australopithèque dont le squelette fut découvert en 1974 par une équipe d’anthropologues dirigés par Donald Johanson et Tom Gray. Bien qu’exhumée à Hadar, en Ethiopie, elle fut affublée d’un petit nom tiré d’une chanson des Beatles qu’on entendait alors sur les ondes.
Aussi l’entrée en matière de l’exposition se place-t-elle sous le sceau de l’archéologie et du malentendu. Car le choix du patronyme de Lucy est révélateur d’une préhistoire bien trop blanche écrite par les Occidentaux.
Ressusciter des figures d’ancêtres
Pour les Éthiopiens, celle qui fut longtemps considérée comme l’ancêtre de l’humanité, se prénomme Dinkenesh, c’est-à-dire la « personne spéciale » ou « la belle ». La photographe Aida Muluneh la représente en personnage hiératique et mystérieux, au visage blanchi, telle un spectre rescapé de temps immémoriaux. « Dans un monde où la supériorité raciale a préfiguré nos dignités humaines, les échos de ses restes sont devenus le témoignage et la validation de nos similitudes plutôt que de nos différences », déclare-t-elle.
Sa consœur algérienne Amina Zoubir ressuscite une autre figure d’ancêtre, celle oubliée de Kahena, reine berbère, dont on ne sait si elle fut juive ou chrétienne. À la fois prêtresse et sorcière, elle aura combattu l’expansion des Omeyades en Afrique du Nord au VIIe siècle.
Comme Kahena, féministe avant l’heure, les créatrices ici réunies ne s’en laissent pas compter. Si elles manient parfois des techniques prétendument réservées aux femmes, elles en dynamitent la dimension « ouvrage de dame ».
« Figure Oubliée », de Amina Zoubir (2014). | Courtesy de l’artiste et de la galerie Regard Sud-Lyon
Chez l’Égyptienne Ghada Amer, la broderie est un cheval de Troie qui aide à véhiculer les idées les plus séditieuses sur le plaisir féminin. Pour Billie Zangewa pas question de faire tapisserie. Ses tissages de soie forment l’écrin d’une féminité triomphante, dans une société sud-africaine où le regard masculin sonne parfois comme une menace.
L’artiste le reconnaît, porter une jupe dans certaines rues de Johannesburg relève de l’exploit. Il n’est pas plus aisé pour une Tunisienne d’assumer ses désirs sexuels, comme le suggère un dessin rouge sang de Zoulikha Bouabdellah, une artiste qui se pose en « libre penseur du sexe, celle qui sait comment revendiquer et contester les codes et les normes de son temps et qui est constamment en équilibre entre être dominant et être dominé ».
Cet équilibre, la Gabonaise Myriam Mihindou l’explore dans une magnifique vidéo, la Complainte du Serpent muet, qui, inspiré du roman cru et poétique de Mohamed Leftah, Demoiselle de Numidie, sublime les corps souillés et blessés des prostituées. C’est une autre forme de honte, celle du SIDA, qu’explore la photographe sud-Africaine Sue Williamson en capturant des malades infectés par le virus, dont la vie oscille entre anonymat, honte et rejet.
Pour toutes ces amazones, le combat ne se mène pas que sur les rings du patriarcat. Elle se prolonge sur les podiums de l’art.
Dans la photo The Kiss, la Sud-Africaine Tracey Rose étend la question de l’identité raciale à sa représentation dans l’histoire de l’art occidentale. Les sujets noirs ont longtemps été tenus en lisière, traités en serviteurs ou faire-valoir, bien trop souvent dépeints de manière grotesque. En revisitant le célèbre Baiser d’Auguste Rodin, Tracey Rose fait du personnage central un homme noir, qui, une fois n’est pas coutume, se trouve au cœur du dispositif et non plus en périphérie.
L’Iris de Lucy, jusqu’au 15 décembre, Musée département d’art contemporain, Place du Château, 87600 Rochechouart, www.musee-rochechouart.com