Yasin Leguet, délégué du syndicat SECI-UNSA, et des salariés dans le magasin des Champs-Elysées. | Nicolas Krief pour Le Monde

Au magasin Marks & Spencer (M&S) des Champs-Elysées, à Paris, quand Yasin Leguet circule dans les allées, les visages inquiets de ses collègues se tournent vers lui. Chacun a une question à poser, une idée à avancer au délégué central du SECI-UNSA, syndicat majoritaire dans le magasin.

Et le personnel a beaucoup à dire. Ce matin du mercredi 9 novembre, il est notamment question de l’attitude de la direction et de l’avenir de l’enseigne. La veille, les dirigeants du groupe de distribution britannique ont annoncé la fermeture d’une centaine de magasins dans le monde, dont sept dans l’Hexagone. L’emploi de 2 100 salariés au total, dont 517 en France, va être supprimé. Pour les boutiques françaises, la fermeture interviendra d’ici fin 2017. Ce sont celles que M&S gère en propre, qu’elles vendent du textile ou bien des produits alimentaires, ou encore les deux comme aux Champs-Elysées ou à Beaugrenelle, dans le 15e arrondissement de Paris. Les franchisées, comme M&S Food Châtelet Les Halles ou M&S Food La Défense, qui proposent uniquement de l’alimentaire, ne sont pas touchés par cette restructuration. Le groupe a déjà supprimé 525 postes à son siège londonien.

A Paris, après une première réunion du comité d’entreprise, la direction générale a rassemblé le personnel dans chaque magasin, le 9 novembre. « Le directeur général pour la France, la Hollande et la Belgique nous a dit : “On est tous dans le même bateau” ». La directrice des ressources humaines a versé quelques larmes. Quelle indécence ! », raconte une vendeuse. Le comité d’entreprise devait se réunir à nouveau mercredi 16 novembre pour lancer la procédure d’information et de consultation sur ce projet, dont la durée légale est de quatre mois.

« Colère » et « tristesse »

L’annonce de ces fermetures, quatre ans après le retour de Marks & Spencer en France, pays que l’enseigne avait quitté en 2001, n’est pas vraiment une surprise pour le personnel. « On s’en doutait depuis près d’un an », explique Françoise (tous les prénoms ont été modifiés), la cinquantaine. Les livraisons étaient en baisse. De plus en plus souvent, il manquait des tailles dans les vêtements. Les visites du directeur général s’étaient raréfiées. » Il n’empêche : « la colère » et « la tristesse » sont bien présentes. « La déception » aussi. « Je suis choquée, confie Sonia, une jeune vendeuse. J’ai beaucoup appris ici et j’ai encore beaucoup à apprendre. J’avais le projet de devenir manager. Quel gâchis. » « Je n’avais jamais pensé qu’une fermeture pouvait arriver, ajoute Gérard, 25 ans. C’est une bonne situation ici. Travailler chez Marks & Spencer et sur les Champs, c’est une fierté. » La direction promet « d’aider chacun à retrouver une solution professionnelle ».

Tous se remémorent le départ brutal de l’Hexagone de Marks & Spencer il y a quinze ans. Départ que les 1 700 salariés avaient appris par un courrier électronique, le 29 mars 2001, à 7 h 59. Dix ans plus tard, la marque revenait en fanfare sur « la plus belle avenue du monde ». Un petit retour et puis s’en va.

Il reste encore dans les boutiques des salariés qui ont vécu cette saga, comme Marielle, la cinquantaine, embauchée à l’âge de 20 ans, lorsque l’enseigne s’est implantée en France en 1975. Elle imaginait y finir sa carrière. « J’aime les produits, j’aime le travail. Ce qu’on nous fait, c’est une trahison. »

L’ascenseur réservé aux cadres

Pourtant, tout n’est pas rose au pays des scones, crumpets et autres douceurs vendues par l’enseigne britannique. La moitié du personnel est payée au smic et il n’y a pas de treizième mois. Les conditions de travail étaient dures, selon certains. « Il fallait demander l’autorisation pour aller aux toilettes, c’était humiliant, souligne Françoise. L’ascenseur était réservé aux cadres, à moins d’avoir un certificat médical. » Ces règles, dit-elle, ont duré « jusqu’à l’implantation du syndicat » SECI-UNSA, en 2014. Lors des premières élections professionnelles auxquelles il s’est présenté, en décembre de la même année, le syndicat a fait un carton : 76 % des suffrages au premier collège, celui des employés. « Notre section syndicale s’était montée trois mois plus tôt, se félicite M. Leguet. On a raflé la première place à la CFDT. » Selon le délégué, ce succès s’est construit avec la prise en compte du quotidien des employés. « Notre lutte a commencé avec ces combats miséreux pour les toilettes, l’ascenseur, etc. »

Logo en liquidation judiciaire

Le couperet est tombé mardi 15 novembre. Le lunetier jurassien Logo, basé à Morez, a été placé en liquidation judiciaire avec effet immédiat par le tribunal de commerce de Lyon. Un autre lunetier jurassien, Cémo, a retiré la semaine dernière son offre de reprise de 34 des 172 salariés, des brevets et du patrimoine. Celle-ci était conditionnée à ce que la marque Tag Heuer (LVMH), principal client de Logo, signe un contrat de licence avec son partenaire italien Safilo. Condition refusée. Le groupe…

Mais tous les tracas ne sont pas réglés : par exemple, les retards d’une, deux ou trois minutes sont toujours défalqués de la paie. Quant aux « challenges », censés stimuler les vendeurs, ils ont perduré jusqu’au printemps 2016. « Il s’agissait, notamment, de nous faire noter, sur une grille, durant une semaine, tous les costumes que nous vendions, avec nos noms, la date et l’heure, raconte le syndicaliste. Le vainqueur remportait un chèque cadeau d’une vingtaine d’euros. Notre petit jeu à nous, pour rappeler que nous étions une équipe, pas un agrégat de compétiteurs, était de saboter le challenge en inscrivant les costumes vendus à côté du nom de ceux qui en avaient le moins vendus. »

« Rester unis jusqu’au bout »

Autre point noir : la baisse des effectifs. Ils sont passés de 650 personnes à 515 en deux ans, selon Yasin Leguet. Cette baisse serait due en partie à des licenciements estimés abusifs par les salariés. Une vague aurait débuté en septembre 2015, « après les deux journées de grève pour les salaires, les 27 juin et 3 juillet 2015. » A sa connaissance, « 30 à 40 personnes contestent leur licenciement devant le conseil des prud’hommes. » La direction fait savoir qu’elle « ne reconnaît pas ces chiffres » et indique avoir « une douzaine de contentieux en cours, pour différentes raisons. » Selon elle, les effectifs de M&S sont restés stables depuis un an.

M. Leguet fait lui-même l’objet d’un licenciement disciplinaire, que l’inspection du travail a refusé. Le ministère du travail doit rendre sa décision d’ici janvier 2017 sur le recours formé par l’employeur.

Pour l’heure, Yasin Leguet et son équipe parcourent les magasins pour écouter les salariés et leur demander de « rester unis jusqu’au bout ». Il dit avoir engrangé des adhésions à son syndicat depuis le 8 novembre, y compris de cadres. Et une intersyndicale internationale, incluant la France, la Belgique et la Hollande est en train de se constituer.