L’écrivain Jonathan Franzen avoue qu’il « n’a pas beaucoup d’amis noirs » et provoque les sarcasmes
L’écrivain Jonathan Franzen avoue qu’il « n’a pas beaucoup d’amis noirs » et provoque les sarcasmes
Le Monde.fr avec AP
Dans un entretien à Slate.com, l’auteur des « Corrections » explique qu’il n’écrit pas sur la question raciale parce qu’il n’a pas de relations avec les Noirs. Et divise le monde littéraire américain.
Jonathan Franzen, en mai 2015. | Mary Altaffer / AP
Jonathan Franzen a-t-il été trop honnête ? Dans un entretien publié dimanche 31 juillet sur le site Slate.com, le romancier, auteur des Corrections (L’Olivier, 2002 ; National Book Award 2001), s’est vu demander s’il avait jamais envisagé d’écrire un livre sur la question raciale. Il répond, sans fard :
« J’y ai pensé, mais – c’est une confession embarrassante –, je n’ai pas beaucoup d’amis noirs. Je n’ai jamais été amoureux d’une femme noire. Je pense que si ça avait été le cas, j’oserais [écrire sur la question raciale]. »
Avec humour, une essayiste et romancière (Noire), Brit Bennett, a rebondi :
« Les rumeurs sont vraies. Je suis l’amie noire de Jonathan Franzen. »
The rumors are true. I am Jonathan Franzen's Black friend.
— britrbennett (@Brit Bennett)
Mais, après les morts médiatisées de plusieurs Noirs aux mains de la police, puis la fusillade de juillet visant des policiers à Dallas, la question raciale est au cœur du débat public aux Etats-Unis – c’est d’ailleurs pour ça que la question était posée. Et d’autres ont pris beaucoup plus au sérieux ces propos, quitte à lancer un débat sur la nature de l’inspiration des romanciers.
Sur Twitter, une finaliste du National Book Award 2015 (pour The Turner House, non traduit), la romancière afro-américaine Angela Flournoy, n’a pas particulièrement apprécié la vision très terre à terre de Franzen :
« Tous les livres de Franzen traitent des questions raciales. Les “Corrections” se terminent sur un homme blanc, atteint de démence, qui réprimande son aide-soignant noir. “Freedom” [2011, L’Olivier] jette une femme indienne d’une falaise pour l’amour d’un Blanc. Mais même sans personnage de couleur, tous ses livres traitent des questions raciales. »
All of Franzen's books are about race. https://t.co/Tkn6TJpovg
— angelaflournoy (@Angela Flournoy)
The Corrections ends with a white man w/ dimentia berating his black caretaker. Freedom throws an Indian woman off a cliff for white love.
— angelaflournoy (@Angela Flournoy)
But even without a single character of color, all of his books are about race. I wish reviewers understood this.
— angelaflournoy (@Angela Flournoy)
« Un échec d’écriture et d’humanité »
Car, dans son entretien, Jonathan Franzen développe la raison pour lequel il faudrait avoir des amis noirs pour écrire sur les rapports entre les différentes communautés :
« Je ne me suis pas marié dans une famille noire. J’écris sur des personnages, et j’ai besoin d’aimer mon personnage pour écrire sur lui. Quand vous n’avez pas eu l’expérience directe d’avoir aimé une catégorie de personnes – une personne d’une couleur différente, une personne profondément religieuse, toutes ces choses qui marquent des différences profondes entre les gens –, je pense que c’est très difficile d’oser, et même de vouloir, écrire depuis le point de vue de cette personne. »
Les déclarations de l’écrivain ont été jusqu’à provoquer un tweet-clash entre romancières. La prolifique Joyce Carol Oates n’a pas supporté que Celeste Ng dénonce « un échec d’écriture et d’humanité » chez Franzen.
That's a failure of writing and of humanity. https://t.co/Wx20JRANhW
— pronounced_ing (@Celeste Ng)
Joyce Carol Oates, qui vient de publier en France Daddy Love (Philippe Rey, 272 p., 18 euros), est brusquement montée au créneau, entre deux tweets anti-Trump :
« Que celui/celle sans “échec d’écriture et d’humanité” jette la première pierre et écrive des romans plus forts que ceux de JF. »
Let he/she who is without "failures of writing & of humanity" cast the first stone & write stronger novels than J.F. https://t.co/CE0gMbVI2t
— JoyceCarolOates (@Joyce Carol Oates)
Puis, quelques instants après :
« JF parle avec la naïveté et l’ingénuité d’une époque où les gens ne fouillaient pas dans les déclarations des autres pour chercher des phrases qui allaient les “scandaliser”. Pas sûr que ça vaille plus que d’écrire un meilleur livre : [ce serait] la meilleure des revanches. »
JF speaks with the naivete & artlessness of an era before people pitilessly combed through others' remarks seek- https://t.co/CW8VFgbTyY
— JoyceCarolOates (@Joyce Carol Oates)
@JoyceCarolOates phrases to be "outraged" by. Not sure that this is more worthwhile than writing your own, superior books: best revenge.
— JoyceCarolOates (@Joyce Carol Oates)
Et Jonathan Franzen, qu’en pense-t-il ? Le journaliste de Slate.com lui avait également demandé : « Avez-vous jamais été obsédé par ce que les gens disent de vous ? » Après un moment de réflexion, il avait répondu : « Les choses négatives, oui. » Avant d’ajouter : « Une seule phrase [de critique] suffit à me tenir éveillé durant des heures. »
Les prochaines nuits du romancier seront donc agitées.